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Collectif DDH

FÉVRIER 2023 – BULLETIN D’INFORMATION DES DROITS DE L’HOMME EN TURQUIE

SITUATION DES DROITS HUMAINS EN TURQUIE EN FÉVRIER 2023

 

Pour la version PDF cliquez ici : Février 2023 – CDDH

Frappée par une série de tremblements de terre, la Turquie fait face à des temps difficiles.

* Kahramanmaras, l’une de villes les plus affectées par le séisme

Par ailleurs, les violations des droits humains sont plus visibles qu’avant ; l’arrestation des personnes critiquant la gestion de la crise du gouvernement, les discriminations envers les groupes défavorisés dans la distribution de l’aide humanitaire, les vies perdues en raison de manque d’effectif et d’organisation, les actes de torture, etc.

 

PRIVATION ARBITRAIRE DE LA VIE ET DISPARITIONS FORCÉES

Selon les sources officielles, au moins 40 mille personnes ont perdu la vie à la suite des tremblements de terre du 6 février 2023.

La désorganisation des opérations de secours et l’absence de contrôle effectif préalable des bâtiments, relève de la responsabilité du Gouvernement.

Il est largement documenté qu’une importante partie de pertes est liée au retard des secours et le temps qui faisait moins zéro degré dans la région touchée.

Selon plusieurs experts, le Gouvernement, qui n’a pas rempli ses obligations positives dans le cadre de droit à la vie des citoyens, devrait être tenu responsable des vies perdues.

Ahmet Bugur, un homme détenu pour s’être disputé avec un imam à Ağrı, a perdu la vie en garde à vue.

Aucune nouvelle de Yusuf Bilge Tunç, un ancien travailleur du secteur public qui a été licencié par un décret-loi au cours de l’état d’urgence de 2016-2018 et qui a été signalé disparu le 6 août 2019 dans ce qui semble être l’un des derniers cas d’une série de disparitions forcées présumées de critiques du gouvernement depuis 2016.

 

TORTURE ET MAUVAIS TRAITEMENTS

L’Association des droits de l’homme (İHD) a signalé une augmentation des mauvais traitements et des violations des droits dans les prisons des provinces touchées par les tremblements de terre. Un autre groupe de défense des droits a annoncé que les détenus transférés dans d’autres établissements en raison des tremblements de terre n’étaient autorisés à emporter avec eux qu’un petit sac d’effets personnels et qu’ils étaient soumis à des fouilles à nu pendant les transferts.

Les douaniers à la frontière turco-irakienne ont physiquement maltraité une femme dont le nom n’a pas été divulgué. Le bureau du gouverneur local a annoncé qu’une enquête avait été ouverte sur l’incident et que 2 officiers avaient été suspendus de leurs fonctions.

Conditions carcérales

Le personnel de la prison de Hatay a maltraité 7 détenus accusés d’avoir déclenché une émeute. Les détenus ont été transférés dans d’autres prisons et certains d’entre eux qui voulaient documenter leurs blessures ont été empêchés d’obtenir des rapports médicaux.

Les gardiens d’une prison de Gaziantep ont agressé physiquement et blessé 6 détenus au motif qu’ils avaient fait preuve de « manque de respect ».

Une employée d’une prison pour femmes à Afyon a agressé physiquement la détenue Sabahat Kunduracı.

De même, les détenus Deniz Şah, Mustafa Karakoç et Gürsel Bizci, successivement à Elazig, Samsun et Manisa, ont fait l’objet de mauvais traitements.

Un certain nombre de détenus qui ont été transférés à la prison de Samsun ont été fouillés à nu et physiquement maltraités.

Ebubekir Ertuğrul, un homme incarcéré à Ankara en raison de ses liens avec le mouvement Gülen, n’a pas été autorisé à assister aux funérailles de sa femme et de ses enfants morts dans les tremblements de terre.

Serhat Arsu, un détenu transféré dans une prison d’Ankara depuis les zones touchées par le tremblement de terre, serait détenu dans une cellule individuelle. L’administration pénitentiaire ne lui a pas remis d’objets personnels envoyés par sa famille

La prison de Tekirdağ a interrompu l’appel téléphonique hebdomadaire du détenu Baki Yaş avec sa famille en raison de ses remarques sur les tremblements de terre et a restreint ses droits d’appel téléphonique pendant 6 mois à titre de sanction disciplinaire.

Les détenus et les associations ont signalé la surpopulation, une alimentation inadéquate et un approvisionnement en eau insuffisant dans une prison de Mersin qui accueillait des détenus transférés des provinces touchées par le tremblement de terre.

Des rapports ont indiqué qu’une prison d’Antalya ne fournissait pas de nutriments spéciaux aux bébés emprisonnés avec leurs mères.

Une souris a été détectée dans les repas offerts aux détenus d’une prison de Diyarbakır. Un détenu a été brièvement hospitalisé.

 

Violence policière

Plusieurs incidents ont été documentés :

  • Les séquences vidéo révélées montrent un policier de Mardin agressant physiquement une personne dans la rue. Le préfet a annoncé qu’une enquête a été ouverte sur l’incident.
  • La police de Hatay a agressé physiquement une personne soupçonnée à tort de pillage dans les zones sismiques.
  • Des soldats à Adıyaman ont agressé physiquement une personne qui cherchait de l’aide en raison du tremblement de terre.
  • La police des opérations spéciales à Hatay a maltraité 3 personnes. Des groupes de défense des droits ont signalé que l’une des victimes avait perdu la mémoire à cause de l’incident

 

RÉPRESSION DE GULENISTS

Tout au long de la semaine, les procureurs ont ordonné la détention d’au moins 104 personnes pour des liens présumés avec le mouvement Gülen.

En octobre 2020, un avis du Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire (GTDA) a déclaré que l’emprisonnement généralisé ou systématique de personnes ayant des liens présumés avec le groupe pouvait constituer un crime contre l’humanité.

Le parquet de Manisa a ordonné la détention de 20 personnes pour avoir fourni une aide financière aux familles des personnes emprisonnées ou licenciées de la fonction publique en raison de leurs liens présumés avec le mouvement Gülen.

Un programme de bourses annoncé par l’agence d’État TÜBİTAK au profit des étudiants de l’enseignement supérieur touchés par les tremblements de terre a exclu ceux qui ont été licenciés de leur emploi pendant l’état d’urgence de 2016-2018.

 

RÉPRESSION À l’ÉGARD DES KURDES

Un tribunal a prononcé des peines avec sursis à l’encontre de 6 dirigeants de la Chambre des architectes de Turquie, dont sa présidente Tezcan Karakuş, pour diffusion de propagande terroriste, en raison d’une récompense accordée à JIN TV, une chaîne de télévision féminine qui diffuse en kurde.

Le parquet d’Istanbul a requis des peines de prison pouvant aller jusqu’à 15 ans contre 4 avocats qui représentaient auparavant Abdullah Öcalan, le chef emprisonné du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), pour des accusations liées au terrorisme.

Ciblage des politiciens kurdes

Un tribunal de Mardin a condamné les maires de district Nilüfer Elik Yılmaz et Gülistan Öncü à 6 ans et 3 mois de prison pour des accusations liées au terrorisme.

Un tribunal de Mardin a condamné l’ancien maire de district Ahmet İnci et l’homme politique kurde local Mehmet Kılıç à 6 ans et 3 mois de prison pour terrorisme en raison de leur participation à un événement politique.

La police de Van a arrêté 7 personnes, dont des politiciens kurdes locaux.

Les gendarmes de Mardin ont arrêté l’ancien cadre du HDP Şiyar Koç. Il a été relâché le lendemain.

 

Ciblage de population civile

Les autorités locales ont continué d’entraver les efforts de secours lancés par le HDP dans les provinces à prédominance kurde et de saisir l’aide humanitaire. Le 17 février, le parti a annoncé que les autorités avaient confisqué 1500 tentes, 8 camions, 30 conteneurs et 120 générateurs.

À Ankara, deux détenues, Rojdan Eraz et Ayşe Yağcı, se sont vu infliger la sanction de suspension de leur droit de visite pendant 1 mois pour avoir scandé des slogans en kurde sur les droits des femmes.

 

RÉPRESSION TRANSNATIONALE

Uğur Demirok, un homme d’affaires qui a été enlevé en Azerbaïdjan et renvoyé de force en Turquie l’année dernière a été condamné par un tribunal d’Istanbul à 2 ans et 2 mois de prison pour terrorisme, en raison de ses liens présumés avec le Mouvement Gulen.

 

RÉFUGIÉS ET MIGRANTS

Omer Hammud, un réfugié syrien résidant légalement en Turquie, aurait été renvoyé en Syrie pour avoir acheté des cigarettes de contrebande.

Un réfugié syrien qui s’exprimait lors d’une conférence de presse a annoncé qu’il avait été attaqué par des habitants locaux car il avait été soupçonné de pillage après les tremblements de terre.

La police de Kahramanmaraş a battu 2 enfants migrants qui faisaient la queue pour l’aide alimentaire organisée à la suite des tremblements de terre. Les enfants auraient été blessés.

Des soldats à Hatay ont agressé physiquement un migrant syrien qui demandait de l’aide au sujet de ses enfants piégés sous les décombres après les tremblements de terre.

 

DROITS DES FEMMES

Au cours du mois de janvier, 11 femmes ont été tuées par les hommes et 12 femmes sont mortes de manière suspecte selon la plateforme pour lutter contre le féminicides.

 

LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DES MÉDIAS

La Direction générale de la sécurité (EGM) a annoncé qu’un total de 141 personnes ont été arrêtées en raison de commentaires « provocateurs » sur les tremblements de terre sur les réseaux sociaux. Parmi les détenus, 25 ont été arrêtés après avoir comparu devant les tribunaux.

Au moins 55 membres de la presse ont été agressés et 28 journalistes ont été condamnés à un total de 50 ans et 6 mois de prison en 2022.

Un tribunal de Bursa a prononcé diverses peines de prison contre 21 personnes accusées d’avoir insulté le président, en raison de slogans qu’ils ont scandés lors d’une commémoration en 2015. Les accusés ont été condamnés à des peines d’emprisonnement allant de 11 mois à 1 an, 2 mois.

Les procureurs ont requis jusqu’à 2 ans de prison pour le chanteur Melek Mosso, accusé d’avoir insulté un ancien soldat reconnu coupable d’avoir violé une jeune de 18 ans.

La réalisatrice de documentaires Sibel Tekin, qui a été placée en garde à vue alors qu’elle tournait un film à Ankara le 16 décembre, a été libérée de sa détention provisoire avec sursis. Tekin fait face à des accusations de terrorisme.

Le parquet d’Istanbul a ordonné l’arrestation du créateur de mode et critique du gouvernement Barbaros Şansal, accusé d’avoir dégradé l’armée et la police.

Istanbul a condamné une personne à 1 an et 2 mois de prison pour avoir insulté un agent public lors des manifestations de l’Université de Boğaziçi.

Un tribunal d’Ankara infligé une amende avec sursis à une femme de 70 ans nommée Fahriye Malatyalı en raison de ses commentaires sur les réseaux sociaux au sujet du politicien nationaliste Devlet Bahçeli.

Le dirigeant d’une ONG, Mazlum Ortaç, a été poursuivi pour avoir fomenté l’inimitié et la haine parmi le public.

Un tribunal d’Ankara a ordonné au chef de l’opposition Kemal Kılıçdaroğlu de verser des dommages et intérêts aux présidents pour l’avoir insulté dans des propos publics.

Le parquet d’Istanbul a ouvert une enquête sur la créatrice de mode Eda Taşpınar pour avoir prétendument provoqué l’inimitié parmi le public, en raison d’une publication sur les réseaux sociaux.

Umut Polat, un militant socialiste qui se trouvait dans la province pour participer aux efforts de recherche et de sauvetage après les tremblements de terre, a été accusé d’avoir insulté le président. Polat a été arrêté par un tribunal le lendemain.

La police de Hakkari a arrêté 3 personnes en raison de leurs publications sur les réseaux sociaux.

Une infirmière qui s’est plainte à la télévision en direct de la façon dont le gouvernement a géré les tremblements de terre ferait l’objet d’une enquête.

Le parquet de Gaziantep a ordonné le placement en garde à vue d’une victime du tremblement de terre, Hasip Türkmen, qui a critiqué le maire local.

Le parquet d’Istanbul ont ouvert une enquête sur le YouTuber Oğuzhan Uğur, accusé de diffusion de fausses informations en raison d’une publication sur les réseaux sociaux alléguant qu’un mur de barrage à Hatay a été fissuré en raison des tremblements de terre du 6 février.

Une enquête a été ouverte sur la politicienne de gauche Gamze Taşçı en raison de ses interviews dans les médias sur les tremblements de terre.

Le parquet de Gaziantep a lancé une enquête sur le dirigeant d’une ONG, Mehmet Türkmen, accusé de diffusion de fausses informations. Türkmen a été convoqué par la police pour un interrogatoire.

Une autre enquête a été ouverte par le parquet d’Izmir sur Hakan Yakaç accusé de désinformation après avoir réagi à l’obstruction des autorités contre les secours en cas de tremblement de terre organisés par les partis d’opposition.

 

Ciblage des journalistes

Le parquet de Bitlis a inculpé le journaliste Sinan Aygül de désinformation pour ses reportages sur une affaire présumée de maltraitance d’enfants dans la province. Des rapports ont souligné qu’Aygül est devenu la première personne en Turquie à être inculpée en vertu d’une loi controversée qui criminalise la diffusion d' »informations fausses ou trompeuses » et prévoit des peines de prison pouvant aller jusqu’à trois ans pour ceux qui en sont reconnus coupables.

lLe parquet d’Istanbul inculpent le journaliste Sezgin Kartal pour des accusations liées au terrorisme. Kartal a été arrêté le 13 janvier.

La police d’Istanbul a arrêté l’animateur de télévision Metin Uca suite à une plainte concernant ses remarques lors d’une représentation théâtrale.

Le parquet d’Ankara a lancé une enquête sur le journaliste Can Ataklı en raison de ses commentaires sur la manière dont le gouvernement a géré les tremblements de terre.

La journaliste Hazal Güven et le caméraman Umutcan Yitik ont ​​été agressés par des agresseurs non identifiés à Hatay.

Le journaliste Mir Ali Koçer est poursuivi pour la diffusion de fausses informations sur les réseaux sociaux. Le journaliste a été convoqué par la police de Diyarbakir pour un interrogatoire.

Le parquet d’Ankara a ouvert une enquête sur le journaliste Hayri Demir pour des accusations liées au terrorisme.

Le parquet d’Istanbul a ouvert une enquête sur la journaliste Seyhan Avşar pour avoir rendu compte d’allégations de mauvais traitements entourant la mort d’un jeune homme en garde à vue après son arrestation pour pillage.

 

Censure

Un livre du théologien İhsan Eliaçık a été censuré par une décision de justice, au motif qu’il contenait « des éléments répréhensibles par rapport aux caractéristiques fondamentales de la foi islamique ».

Un tribunal d’Ankara a bloqué l’accès à 340 sites Web et URL, y compris des sites Web d’information, des blogs et des comptes de médias sociaux en raison de leur prétendue propagande terroriste. La censure a été imposée à la demande de la Direction générale de la sécurité (EGM).

Un tribunal d’Ankara décide de bloquer l’accès à « 100suzler.org », un site Internet lancé par les journalistes en exil Can Dündar et Erk Acarer.

Plusieurs contenus en ligne ont été censurés, majoritairement ceux qui dénoncent les illégalités commises par le gouvernement :

  • un tweet sur la mort d’un homme du nom d’Ahmet Güreşçi, décédé en garde à vue après avoir été torturé;
  • un reportage couvrant des allégations d’inconduite impliquant le juge de la Cour constitutionnelle İrfan Fidan;
  • au moins 3 articles de presse sur des appels d’offres publics attribués à un ami proche du fils du président Bilal Erdoğan;
  • Au moins 6 reportages sur les réponses des politiciens de l’opposition à une déclaration du président.

 

LIBERTÉ DE RÉUNION ET D’ASSOCIATION

 

Interdictions

Plusieurs interdictions ont été émises à travers le pays, principalement dans les provinces à prédominance kurde :

  • Les préfectures de Van et de Şırnak ont ​​émis des interdictions générales de tous les rassemblements en plein air pendant 4 jours et 10 jours respectivement ;
  • Les préfectures de Mardin, Hakkari et Siirt ont émis des interdictions générales de tous les rassemblements en plein air pour une période de 15 jours. Celle de Hakkari a prolongé l’interdiction qui est en vigueur dans la province depuis janvier 2022 ;
  • Le préfet de Mardin a interdit un concert du musicien Azad Bedran, citant une interdiction générale des événements en plein air qu’il avait précédemment émise.

 

Arrestations et procès

14 personnes à 6 mois de prison en raison de leur participation aux manifestations de l’Université de Boğaziçi.

Plusieurs personnes ont été arrêtées lors des manifestations :

  • A Istanbul, 24 personnes lors d’une manifestation contre la gestion des tremblements de terre par le gouvernement personnes arrêtées pour avoir participé aux célébrations du Newroz ;
  • A Osmaniye 10 militants de gauche qui participaient à une manifestation de solidarité avec les victimes du tremblement de terre ;
  • A Istanbul 109 militants de gauche dans une manifestation ;
  • A Izmir et Istanbul, 47 personnes dans des manifestations étudiantes.

 

IMPUNITÉ

Le parquet de Bingöl a refusé d’enquêter sur une plainte déposée par une personne du nom de Sonuç Gürdeğer qui a affirmé avoir été torturée pendant sa garde à vue en août 2021.

Un tribunal de Van a décidé d’acquitter 2 soldats qui avaient abattu un villageois du nom d’İbrahim Baykara au motif qu’ils agissaient en « légitime défense ».

Un tribunal d’Antalya a condamné un homme du nom de Çağdaş Yırtıcı à 3 ans et 15 jours de prison pour avoir insulté et résisté à la police lors d’un incident au cours duquel il a été agressé physiquement devant son domicile.

Les policiers impliqués sont toutefois acquittés.