MAI 2025 – ACTUALITÉ DES DROITS HUMAINS EN TURQUIE
MAI 2025
PRIVATION ARBITRAIRE DE LA VIE ET DISPARITIONS FORCÉES
Aucune nouvelle n’a été reçue concernant Yusuf Bilge Tunç, ancien fonctionnaire licencié par décret, disparu depuis 2019. Son cas s’inscrit dans une série de disparitions forcées présumées visant des personnes critiques envers le gouvernement.
Erol Eğrek, ancien technicien textile de 48 ans, est décédé après avoir été violemment agressé par des agents de sécurité privés devant le siège de la holding Çalık à Istanbul, alors qu’il réclamait ses indemnités de licenciement impayées. Sa famille conteste la version officielle évoquant une crise cardiaque et demande une enquête indépendante.
Plus de 1 000 décès ont été enregistrés dans les prisons turques entre juillet 2023 et décembre 2024, reflétant des conditions de détention alarmantes. Le 22 mai, les organisations de défense des droits ont dénoncé les prisons turques comme des lieux de disparition silencieuse.
TORTURE ET MAUVAIS TRAITEMENTS
Des défenseurs des droits LGBTQ ont appelé à la libération urgente de l’activiste Asya Gökalp, incarcérée à İzmir pour un post sur les réseaux sociaux. Atteinte d’un cancer du cerveau en phase critique, elle subit en prison des conditions insalubres et des mauvais traitements en raison de son orientation sexuelle.
À Antalya, un homme a été violemment battu par la police dans la rue, ce qui a conduit à la suspension des agents impliqués.
Une étudiante en droit récemment arrêtée dans le cadre des opérations contre le mouvement Gülen a tenté de se suicider à plusieurs reprises, mettant en lumière les conditions de détention alarmantes.
Le journaliste Can Öztürk a été roué de coups et détenu alors qu’il couvrait une manifestation sur un campus universitaire ; sa carte de presse a été déchirée.
Des cas de violences policières et de mauvais traitements en détention ont été signalés. Une étudiante arrêtée a tenté à plusieurs reprises de se suicider. Un journaliste couvrant une manifestation a été battu.
CONDITIONS CARCÉRALES
La population carcérale turque a dépassé les 400 000 détenus, soit plus de 100 000 au-dessus de la capacité officielle, un chiffre qui reflète la répression accrue à l’encontre des dissidents, notamment les membres du mouvement Gülen et les militants kurdes. Ce chiffre a été multiplié par huit en 25 ans.
La Cour constitutionnelle turque a jugé illégales certaines pratiques de surveillance des détenus. Le 23 mai, douze ONG ont appelé à inclure les prisonniers politiques dans les réformes visant à désengorger les prisons.
RÉPRESSİON DES PRÉSUMÉS MEMBRES DU MOUVEMENT GÜLEN
Au cours de la période, les procureurs ont ordonné la détention d’au moins 1 000 personnes pour des liens présumés avec le mouvement Gülen.
En 2020, un avis du Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire (GTDA) avait déjà souligné que l’emprisonnement généralisé ou systématique de personnes affiliées au mouvement pouvait constituer un crime contre l’humanité.
Dans ce contexte, la police a arrêté 23 personnes dans une opération ciblant des individus liés à Maydonoz Döner, une chaîne de restauration saisie par l’État. Cette opération s’inscrit dans une campagne plus large incluant confiscations de biens et accusations de financement du terrorisme.
Par ailleurs, les autorités ont procédé à l’arrestation de 320 personnes, principalement des étudiantes, en raison de liens présumés avec le mouvement Gülen. Les motifs incluent des activités parfaitement légales comme la participation à des programmes Erasmus, des séjours à l’étranger ou encore le fait de partager un logement avec des proches de fonctionnaires purgés. Pour 77 d’entre elles, l’accès à un avocat a été interdit pendant les premières 24 heures.
Les procureurs ont ordonné la détention d’au moins 117 personnes pour des liens présumés avec le mouvement Gülen. Dans le cadre de cette répression, 101 autres personnes ont été arrêtées dans 27 provinces, accusées notamment d’avoir utilisé des téléphones publics pour communiquer avec des membres du mouvement ou d’avoir soutenu financièrement les familles de fonctionnaires limogés par décrets lois (KHK).
Des opérations massives ont notamment eu lieu les 9, 10, 16 et 22 mai, entraînant plus de 600 arrestations, souvent ciblant des étudiants, des mères de famille, et des employés de la fonction publique limogés. Des accusations ont été formulées pour des actes tels que l’utilisation de téléphones publics ou la participation à des programmes internationaux. Le cas d’Özlem Düzenli, emprisonnée avec son nourrisson après une tentative de fuite, illustre la sévérité de cette politique.
REPRESSION À L’EGARD DES KURDES
le Parlement turc a rejeté une motion du parti pro-kurde DEM visant à enquêter sur les disparitions forcées, malgré des décennies de demandes de la part des familles kurdes.
Birsen Orhan, co-maire de Tunceli issue du Parti de l’égalité et de la démocratie du peuple (Parti DEM), a été déchue de ses fonctions par le ministère de l’Intérieur et remplacée par un administrateur. Elle a été condamnée à plus de deux ans de prison pour « violation de la loi sur les manifestations » et « résistance à l’autorité ».
REPRESSION TRANSFRONTALIÈRE
La Cour suprême fédérale du Brésil a rejeté la demande d’extradition de Mustafa Göktepe, homme d’affaires turco-brésilien accusé de liens avec le mouvement Gülen. La Cour a jugé insuffisantes les preuves présentées par la Turquie et reconnu son statut de citoyen naturalisé protégé. Cette décision met en lumière les inquiétudes croissantes liées à la répression transnationale orchestrée par Ankara.
Des groupes soutenus par la Turquie en Syrie sont accusés de violations graves. Le 20 mai, le militant syrien Taha Elgazi a été expulsé de Turquie vers la Syrie, malgré les risques encourus.
Human Rights Watch a accusé des groupes armés syriens soutenus par la Turquie de continuer à détenir, torturer et extorquer des civils dans le nord de la Syrie, appelant à des poursuites contre les commandants responsables.
DROITS DES FEMMES
Au moins 21 femmes ont été assassinées par des hommes tandis que 20 sont mortes dans des circonstances suspectes, selon les rapports mensuels publiés par BIANET.
un rapport parlementaire a révélé un manque critique de refuges pour femmes.
79 femmes avaient été tuées depuis janvier dans des violences domestiques, mettant en cause la politique de « l’Année de la famille ».
MINORITÉS ET GROUPES DÉFAVORISÉS
Le 20 mai, la chanteuse israélo-turque Linet Manashe a annulé son concert à Istanbul après des menaces de mort de la part de manifestants pro-palestiniens.
LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DES MÉDIAS
Dans un climat de plus en plus hostile à la liberté de la presse, Arif Kocabıyık, journaliste pour İlave TV, a été arrêté à Antalya pour avoir prétendument insulté le président, peu après que ce dernier ait qualifié les interviews de rue de perturbatrices.
Le Parlement européen a exigé la libération immédiate du journaliste suédois Joakim Medin, toujours incarcéré malgré une condamnation avec sursis pour des propos similaires. Il fait désormais l’objet d’une deuxième procédure pour appartenance présumée à un groupe terroriste.
Lors d’une session parlementaire, des députés turcs de l’opposition ont interpellé Google, l’accusant de nuire à la liberté de la presse à travers des modifications algorithmiques réduisant le trafic vers les médias indépendants. L’entreprise a nié tout parti pris politique.
Le ministère turc de l’Intérieur a annoncé avoir bloqué 27 304 comptes de médias sociaux au cours des quatre premiers mois de l’année 2025, suscitant des critiques pour avoir ciblé des journalistes, militants et opposants sur la base de lois sécuritaires floues.
Dans le même esprit de censure, les tribunaux ont ordonné le blocage des comptes X (Twitter) principal et international d’Ekrem İmamoğlu, maire emprisonné d’Istanbul. Celui-ci a dénoncé publiquement ces décisions comme des atteintes graves à la démocratie.
Une étudiante gravement malade, Esila Ayık, a été inculpée pour avoir qualifié le président de dictateur, risquant une peine de prison sévère malgré ses besoins médicaux urgents.
Le journaliste Furkan Karabay a été arrêté pour avoir critiqué des responsables de la lutte antiterroriste dans ses reportages.
La journaliste Evrim Kepenek a été condamnée à 10 mois de prison avec sursis pour avoir rapporté un cas présumé d’abus sexuel sur mineur.
La médecin Ayşe Uğurlu a été renvoyée de la fonction publique pour avoir lu un communiqué sur les droits des femmes contenant des critiques envers le président.
Enfin, le régulateur des médias RTÜK a infligé des amendes à plusieurs chaînes d’opposition pour leur couverture jugée sensible, ce qui a été perçu comme une mesure de censure.
La liberté d’expression continue de se dégrader. Le 19 mai, le journaliste suédois Joakim Medin, arrêté en Turquie pour insulte au président Erdoğan et liens présumés avec le terrorisme, a été libéré après des pressions diplomatiques.
Le 20 mai, Human Rights Watch a exhorté la Turquie à abroger l’article 299 du Code pénal, ayant permis des milliers de poursuites pour « insulte au président ». Ce même jour, le journaliste İsmail Arı a reçu des menaces de mort. Le 22 mai, une chute de trafic de 80 % sur les médias indépendants turcs a été attribuée à des changements d’algorithmes sur Google et YouTube, suscitant des inquiétudes de censure.
LIBERTÉ DE RÉUNION ET D’ASSOCIATION
Les autorités ont inculpé 16 personnes, en majorité de jeunes manifestants ayant exprimé leur soutien au maire d’opposition Ekrem İmamoğlu, pour « insulte au président » lors de manifestations à Istanbul. Quatorze d’entre elles ont été placées en détention préventive pendant 45 jours dans l’attente de leur procès.
Le ministre turc de l’Éducation a publiquement qualifié un enseignant de « terroriste » après que ce dernier a dénoncé le système controversé d’embauche par entretien, provoquant la colère d’une partie du corps enseignant et de l’opposition.
Dans un autre incident, la police a arrêté 97 personnes lors de manifestations étudiantes à l’université Boğaziçi contre un prédicateur controversé. Six d’entre elles ont été placées en détention formelle.
Plus de 350 travailleurs agricoles, principalement des femmes, de l’entreprise Queen Flowers à İzmir, ont poursuivi leurs protestations contre des pratiques antisyndicales et des intimidations, entamées depuis plus de 20 jours.
IMPUNITÉ ET INDEPENDANCE JUDICIAIRE
Les ministères turcs de l’Intérieur et du Travail ont bloqué les enquêtes sur leur personnel dans le cadre de l’incendie meurtrier de la station de ski de Kartalkaya (78 morts, dont 36 mineurs), refusant aux procureurs l’autorisation de poursuivre les investigations. Les familles dénoncent une entrave à la justice.
Par ailleurs, les procureurs d’Istanbul ont engagé des poursuites contre les dirigeants du patronat TÜSİAD, Orhan Turan et Ömer Arif Aras, pour avoir critiqué les politiques gouvernementales, les accusant de vouloir influencer le pouvoir judiciaire et de diffuser de fausses informations.
Enfin, la Cour européenne des droits de l’homme a tenu une audience de grande chambre dans l’affaire Yasak c. Türkiye, contestant la criminalisation rétroactive des liens pacifiques avec le mouvement Gülen. Cette affaire soulève des inquiétudes majeures quant à l’état de droit en Turquie.
Le maire d’Istanbul Ekrem İmamoğlu, déjà emprisonné dans une affaire controversée, a fait l’objet d’une nouvelle enquête pour avoir critiqué des procureurs lors d’une audience.
Le sénateur américain Adam Schiff a dénoncé l’arrestation du maire İmamoğlu.
La police turque a procédé à 44 nouvelles arrestations dans son entourage, dans une enquête perçue comme politiquement motivée.
LIBERTÉ DE RELIGION
Le Parlement européen a appelé la Turquie à reconnaître le statut juridique du Patriarcat œcuménique et à garantir la liberté religieuse des minorités. Il a dénoncé les restrictions persistantes imposées aux communautés non musulmanes et réaffirmé que ces violations bloquent toute avancée dans le processus d’adhésion à l’Union européenne.
DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS
Nihat Göktaş et Hülya Gerçek, membres de la section stambouliote de l’Association des droits de l’homme (İHD), ont été arrêtés à leur domicile. Ils sont accusés de « financement du terrorisme » pour avoir envoyé de l’argent à un détenu soutenu par la commission des prisons de l’İHD.
Des défenseurs des droits européens ont accusé le Conseil de l’Europe d’abandon face à la répression des avocats en Turquie, appelant à des réformes urgentes.
RÉFUGIÉS ET MIGRANTS
La Cour suprême d’Iran a confirmé la condamnation à mort du chanteur Tataloo, extradé par la Turquie en 2023. Le 20 mai, Taha Elgazi a été expulsé vers la Syrie en violation des normes internationales.