Bulletin d’information mensuel sur les droits de l’homme en Turquie
JANVIER 2020
Au cours du mois de janvier, Human Rights Watch a publié son rapport de 2019 dans lequel il a fait remarquer une croissance considérable dans les cas de violations des droits de l’Homme en Turquie. Selon le rapport, les Kurdes, les Gulenistes et les sympathisants de gauche sont les plus touchés.
Les 28 membres de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) ont effectué une demande d’avis adressée à la Commission de Venise au sujet de la situation des fonctionnaires révoqués en Turquie. Dans la déclaration écrite, les députés ont exprimé leur inquiétude concernant les 150.000 fonctionnaires limogés en Turquie au cours des dernières années et ont souligné l’inefficacité des voies de recours internes.
Liberté de la Presse
Malgré certaines petites avancées concernant la liberté d’expression et de la presse, le mois de janvier en Turquie a été marqué par des pressions contre les journalistes et les médias.
Des centaines de journalistes des quotidiens Evrensel et Birgün ont vu leurs cartes de presse annulées. A la suite d’une réaction sans précédent des syndicats de journalistes et les ONG, les cartes de presse initialement annulées ont été réactivées. En effet, depuis le passage au régime présidentiel en Turquie, l’autorité se chargeant de la délivrance et du renouvellement des cartes de presse est liée à l’office du président de la République, ce qui pose un problème majeur à la liberté des médias.
Dans une résolution adoptée le 29 janvier 2020, l’APCE a rappelé que la Turquie détient le record du nombre de journalistes emprisonnés dans l’ensemble des États membres du Conseil de l’Europe. Dans ce cadre-là, l’APCE a donné plusieurs recommandations, y compris la cessation d’interprétation abusive du code pénal, l’abrogation des lois empêchant la liberté d’expression et le respect de la jurisprudence de la CEDH.
En janvier 2020, cinq journalistes ont été condamnés à la prison : Barış Polat, Kazım Güleçyüz, Halil İbrahim Özdabak, Hakan Gülseven et Osman Akın. Les journalistes Ali Tezen et Büşra Taşkıran ont été placés en garde à vue.
Une avancée positive a toutefois eu lieu concernant la liberté d’expression. La Cour constitutionnelle a qualifié le blocage du site internet Wikipedia comme une violation aux libertés fondamentales. L’accès au site a ainsi été rétabli.
L’abus d’accusation de terrorisme
Durant le mois de janvier, l’accusation de terrorisme a continué d’être pratiquée arbitrairement.
Mehmet Onuk, professeur limogé accusé d’appartenance au « FETÖ » (expression utilisée par le gouvernement AKP pour le mouvement Gülen), a été condamné à 7 ans et 6 mois de prison à Adana. Neuf personnes, parmi lesquelles des professeurs, médecins, policiers et greffiers, ont été placées en garde à vue et 7 d’entre elles ont été détenues à Şanlıurfa. Sept personnes ont été placées en garde à vue dont une mise en détention et six libérées sous contrôle judiciaire à Samsun. 82 anciens officiers militaires ont été détenus à İzmir. Un groupe de 66 personnes manifestant pour la défense des droits des accusés d’appartenir au « FETÖ », a été placé en garde à vue à Ankara, ainsi que 16 autres personnes réunies pour les mêmes raisons l’ont été le lendemain. Le même jour, 4 personnes ont été placées en garde à vue, au motif d’avoir diffusé des images et vidéos sur ce sujet dans le métro Kızılay-Batıkent.
Hüseyin Purtaş, ancien juge et ancien membre de l’Union des juges et des procureurs, limogé pour raison d’appartenance au « FETÖ », a été placé en détention à Ankara.
Le père Sefer Bileçen, prêtre du vieux monastère syriaque orthodoxe Mor Yakup à Mardin a été arrêté avec 10 autres personnes pour adhésion à une organisation terroriste. Il a été libéré cinq jours plus tard.
Torture et mauvais traitements en détention, enlèvements.
En janvier 2020, plusieurs plaintes concernant des victimes de mauvais traitements ont été reçues des centres pénitentiaires de Van (type F), Ağrı Patnos (type L), Diyarbakır (type T) et İzmir Şakran (femmes). Plusieurs demandes de visite de la part des sœurs d’Abdullah Öcalan, leader du PKK, ont été rejetées par le bureau du procureur.
Deux détenus des prisons de Siirt (Type E) et de Tekirdağ (Type F) ont décédé suite à de mauvaises conditions d’accès aux soins.
Une allégation concernant un enfant de 5 ans soumis à une fouille corporelle dans la prison de Bafra a été portée devant l’Assemblée nationale par l’intermédiaire du député M. Gergerlioğlu.
Il a été rapporté que l’eau chaude n’est pas fournie et que le chauffage n’est pas allumé dans la cellule de l’ancien chef de la police de la section de la Prévention du Terrorisme à Istanbul, Omer Köse, en détention à l’isolement depuis 2 ans, même sa demande pour une couverture lui a été refusée.
M. le Député Gergerlioğlu a notifié que Yusuf Bilge Tunç, enlevé le 6 août 2019, est toujours porté disparu.
Conflit kurde et répression de l’opposition
Les camions transportant des colis d’aides envoyés par les mairies de Kars et d’Ergani (du parti de HDP) pour les victimes du tremblement de terre à Elazığ n’ont pas été autorisés à entrer dans la ville par la Préfecture d’Elazığ.
Les membres du groupe de musique Grup Munzur, Buket Şimşek, Burak İkiz et Selçuk Çelik ont été condamnés à la prison pour avoir fait de la propagande pour une organisation terroriste en chantant dans la langue kurde.
La plainte d’une victime de tortures durant sa garde à vue a été classée sans suite par le procureur général de Mardin.
Le directeur de l’Association des Droits de l’Homme (IHD) de l’antenne de Van, Murat Melet, a été condamné à un an et quatre mois de prison pour avoir participé à une manifestation.
Dans les villes d’Hakkari, de Van, de Mardin, de Tunceli et d’Urfa, situées dans le sud-est de la Turquie, toutes les manifestations ont été interdites par les décrets des préfectures respectives.
Les villes de Şırnak, de Bingöl et d’Hakkari ont été déclaré comme étant des zones d’urgence de sécurité pour une période d’un an.
Les maires et politiciens kurdes démis de leurs fonctions
Fehime Saruhan, membre du Conseil municipal de Silopi, province de Şırnak, a été démise de ses fonctions.
Aydin Alökmen, co-maire de Savur, province de Mardin, a été condamné au motif d’être membre d’une organisation terroriste.
Une proposition visant à supprimer l’immunité parlementaire des six députés du HDP (Pervin Buldan, Sezai Temelli, Berdan Öztürk, Remziye Tosun, Musa Farisoğulları, Semra Güzel) a été présentée au Parlement.
Les réfugiés en Turquie
Au cours du mois de janvier, les réfugiés continuent d’être dépourvus de leur droit de quitter le pays. Tentant de fuir la Turquie pour aller vers l’île de Lesbos en Grèce, plus de 300 réfugiés ont été arrêtés à Çanakkale et remis au centre de rétention d’Ayvacık.
Au cours de la première moitié du mois de janvier, plus de 20 personnes, dont 8 enfants, ont péri dans la mer Égée et près de dix ont disparu. Face aux personnes décédées et aux disparitions, une dizaine d’associations ont dénoncé samedi 15 janvier 2020 l’accord entre l’UE-Turquie concernant la migration et les ont tenus responsables. Elles ont fait appel auprès des autorités européennes à « ouvrir » les frontières aux opposants.
Le préfet d’Istanbul a précisé que plus de 118 000 personnes ont été appréhendés et plus de 37 000 ont été expulsés du pays.
Selon Medya Radar, plus de mille discours de haine contre les réfugiés ont été constatés dans les médias turcs entre le 4 et le 17 janvier 2020.