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Collectif DDH

Une semaine juridiquement mouvementée en Turquie

Les condamnations d’Osman Kavala et du parlementaire détenu Can Atalay sont confirmées par la Cour de cassation turque[1], alors qu’un arrêt important de la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) constate non équivoquement l’abus des lois anti-terror[2].

 

Les condamnations de 4 personnes impliquées dans le procès de « Gezi » sont désormais définitives malgré la procédure d’infraction contre la Turquie au sein du Conseil de l’Europe et l’arrêt de la CEDH ordonnant la remise immédiate en liberté d’Osman Kavala[3].

Ce procès portant officiellement sur la « tentative de renversement du gouvernement » et aide à la réalisation de celle-ci, demeure l’une des évidentes exemples du contournement de la législation et l’application du « droit pénal d’ennemi » aux opposants.

En ce sens, la CEDH s’est de nouveau prononcée sur les procès de terrorisme menés à l’encontre de milliers de personnes. Constatant d’ores et déjà l’absence de soupçon plausible pour le placement en détention dans les procédures pour terrorisme, la CEDH a pour la première fois jugé une affaire sur le fond, c’est-à-dire, examiné les motifs de condamnation à des peines allant de 6 ans 3 mois à 15 ans.

Dans l’affaire YALCINKAYA c. Turquie, la grande chambre de la Cour a constaté la violation de plusieurs articles de la Convention, dont article 7 portant sur le principe de légalité de peines et d’infractions.

À cet égard, il semble important de souligner que l’article 7 constitue un des piliers du droit pénal contemporain avec ses exigences de base de l’état de droit : Pas de peine sans loi.

Cela signifie l’importance de prévisibilité de la législation répressive en ce que l’on ne peut raisonnablement faire l’objet d’une peine que lorsque la répression des actes en question est prévue par la loi.

À titre d’exemple, l’affaire YALCINKAYA concerne l’utilisation d’une messagerie mobile cryptée, ByLock, et, subsidiairement, la détention d’un compte dans une banque considérée proche du Mouvement Gulen et l’appartenance à un syndicat considéré également proche de ce dernier.

La grande chambre conclut, tout en mettant en question l’authenticité des données relatives à ByLock sous son examen au regard de l’article 6, que l’utilisation d’une application mobile ne saurait pas être assimilée automatiquement à l’appartenance à une organisation terroriste armée au titre de l’article 7. Il en va de même pour les autres chefs d’incrimination ; appartenance à un syndicat et la détention d’un compte chez une banque particulière.

À ce stade, il est très important de souligner que la violation de l’article 7 est très rarement constatée, l’affaire YALCINKAYA étant la 60ème depuis l’instauration de la Cour.

Par ailleurs, la Cour a, au titre de l’article 46 de la Convention, ordonné la mise en œuvre des mesures générales pour remédier aux problèmes répandus, notamment ceux liés à l’incrimination automatique de l’utilisation alléguée de ByLock.

Les échos de cette affaire seront conséquents au regard du public concerné puisqu’en Turquie plus de 30 mille personnes sont accusées du terrorisme pour avoir prétendument utilisé ou téléchargé ladite application mobile, ByLock.

De surcroît, le ministre de la justice a critiqué la Cour en insinuant le non-respect de l’arrêt YALCINKAYA avec la poursuite de la lutte contre le terrorisme[4].

Si le gouvernement turc ne satisfait pas les exigences de la Cour et ne retourne pas au respect des principes de l’état de droit, les constats de violation de la Convention européenne ne cesseront pas d’accroître.

En présence d’un arrêt de la CEDH faisant état de l’acharnement judiciaire et de la confirmation de condamnations du procès « Gezi » deux jours après celui-ci, il devient de plus en plus important pour les acteurs internationaux d’exprimer leur soutien aux victimes de la répression étatique et de tenir une position ferme en faveur des valeurs démocratiques en exigeant la fin de ladite répression.

 

[1] https://www.lorientlejour.com/article/1350967/le-mecene-kavala-condamne-a-vie-denonce-le-mepris-de-la-vie-humaine.html

[2] https://www.euronews.com/2023/09/26/conviction-based-on-app-use-violated-turkish-teachers-rights-european-court-rules

[3] https://www.coe.int/fr/web/portal/-/committee-of-ministers-refers-kavala-v-turkey-case-to-the-european-court-of-human-rights

[4] https://twitter.com/yilmaztunc/status/1706691787002191985