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Collectif DDH

La liberté de presse en Turquie

La Turquie est connue depuis 3 ans comme la plus grande prison pour les journalistes dans le monde.

Dans le classement mondial de la liberté de presse (de Reporters sans frontières – RSF), elle descend chaque année de place et se trouve en 2019 le 157e parmi 180 pays.

RSF donne la présentation suivante pour la Turquie :

« La chasse aux médias critiques menée par le gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan culmine depuis la tentative de putsch du 15 juillet 2016. Après la liquidation de dizaines de médias et le rachat du plus grand groupe de presse turc par une holding proche du pouvoir, l’étau se resserre sur tout ce qui reste de pluralisme : une poignée de titres harcelés et marginalisés. La Turquie est la plus grande prison du monde pour les professionnels des médias. Passer plus d’un an en détention avant d’être jugé est devenu la norme, et lorsque tombent les condamnations, elles peuvent aller jusqu’à la prison à vie incompressible. Les journalistes incarcérés et les médias fermés sont privés de tout recours effectif : l’Etat de droit n’est plus qu’un souvenir dans la “Nouvelle Turquie” hyper-présidentielle. La censure d’internet et des réseaux sociaux atteint elle aussi des niveaux inédits, et les autorités cherchent désormais à prendre le contrôle des services de vidéo en ligne. »

Une analyse détaillée des médias nationales turques nous montre que presqu’ensemble des organes de presse sont détenues par des groupes proche du gouvernement. Ce fait est amplifié par la fermeture de presque 200 médias après la tentative de putsch.

Selon le site turkeypurge.com, plus de 300 journalistes ont été placés en garde à vue depuis le 15 juillet 2016, dont presque 180 qui sont toujours en détention. Ce chiffre est de 131 selon le Syndicat des journalistes de Turquie (TGS) et 68 selon la Comité de protection des journalistes (CPJ – 2018).

Freedom House qualifie la Turquie comme un pays « non libre ». Concernant la liberté de la presse, elle donne 1 point sur 4 et elle fait la remarque suivante :

« Les médias grand public, en particulier les télédiffuseurs, reflètent les positions du gouvernement et diffusent régulièrement des manchettes identiques. Bien que certains journaux et sites Web indépendants continuent de fonctionner, ils subissent d’énormes pressions politiques et sont régulièrement la cible de poursuites judiciaires. »

Dans son dernier rapport annuel, Amnesty International explique que les dissidents en Turquie, les journalistes en particulier, font l’objet d’une répression sans merci. L’Amnesty précise que « Des journalistes de médias fermés au titre de décrets pris dans le cadre de l’état d’urgence ont cette année encore été poursuivis en justice, condamnés et emprisonnés. »

Les cas de certains journalistes sont connus globalement, comme les journalistes du journal Cumhuriyet ou encore Ahmet Altan, Nazli Ilicak, Sahin Alpay… Les conditions de détention de ces journalistes sont très mauvaises : isolement carcéral, très peu de visite, entretien avec des avocats en présence des gardiens, etc. Le Monde qualifie ces conditions comme « draconiennes ».

Cependant le cas d’autres journalistes est très peu connu. Aujourd’hui dizaines des journalistes sont condamnés à une peine de prison qui peut aller jusqu’à la perpétuité. La CEDH reste muet contre la plupart de ces procédures et donne pour raison le non-épuisement des voies de recours internes.

Le gouvernement défend que ces personnes ne sont pas détenues ou condamnées pour leurs travails journalistiques. En effet, il prétend que nombreux d’entre eux sont détenus à cause de leurs liens avec d’organisations terroristes.

Cependant les preuves pour montrer ces liens sont souvent assez flous. Par exemple, Aysenur Parildak, ancien journaliste du quotidien Zaman, journal proche du mouvement de Gulen, a été condamné à 7 ans et 6 mois de prison à cause de ses partages sur Twitter et le compte qu’elle détenait dans la Banque Asya.

RSF et Article 19 considèrent que les emprisonnements des journalistes ont pour résultat la fin de l’Etat de droit en Turquie. Il faut notamment souligner que les tribunaux turcs s’accordent aujourd’hui le pouvoir de refuser une décision du Conseil constitutionnel et de la CEDH s’agissant de procès des journalistes détenus.

En conséquence de toutes ces actions, la pluralité des voix n’est quasiment plus existant en Turquie. Les journalistes qui ne sont pas en prison font souvent une autocensure pour ne pas risquer des condamnations.

Ce fait pousse parfois le public turc de chercher l’information auprès d’agences de presse internationales, qui sont également ciblées indirectement par le gouvernement. En effet, le think-tank pro gouvernemental SETA a publié récemment un rapport  accusé d’inciter la haine contre les journalistes turcs qui travaillent pour les organes de presse internationales comme BBC, DW, VOA et Euronews.

En conclusion, la Turquie est aujourd’hui dans une position inquiétante concernant sa liberté de presse et sa démocratie. L’Union européenne et les institutions internationales tels la Cour européenne des droits de l’Homme et le Comité des droits de l’Homme de l’ONU devraient agir plus fermement contre ces violations.