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Collectif DDH

le rapport de l’Association du Barreau d’Ankara concernant la torture

Ankara Barosu

LA TRADUCTION NON-OFFICIELLE DU RAPPORT SUR LES ALLÉGATIONS DE TORTURE AU BUREAU DE LUTTE CONTRE LA CONTREBANDE ET AU BUREAU DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DU COMMISSARIAT DE POLICE D’ANKARA

(20 DÉCEMBRE 2019)

Sujet : Le présent document est le rapport sur les entretiens et les enquêtes menés par le Centre des Droits de l’Homme de l’Association du Barreau d’Ankara concernant les allégations de torture au Bureau de lutte contre la contrebande de la Direction Générale du Commissariat de Police d’Ankara le 18 décembre 2019, et au Bureau de lutte contre le terrorisme de ladite Direction le 19 décembre 2019.

L’EXPOSÉ DES FAITS :

Concernant la question de la torture au Bureau de lutte contre la contrebande de la Direction Générale de la Sécurité du Commissariat de Police d’Ankara, nous avons été informés pour la première fois le 18 décembre 2019 par un de nos collègues que son client avait été emmené officieusement à un « entretien », au cours duquel il a été soumis à des tortures et des mauvais traitements. Par la suite, l’incident est apparu dans les médias et a également été connu du public. Nos collègues du Centre des droits de l’homme du Barreau d’Ankara ont immédiatement été mandatés et se sont rendus au Bureau de lutte contre la contrebande pour rencontrer la victime présumée afin de consigner ses déclarations, demandes et plaintes. Ils ont rapporté à l’écrit le récit de la personne en ce qui concerne la torture et les mauvais traitements, sous forme de procès-verbal. Le détenu qui s’inquiétait pour sa sécurité a demandé à nos collègues de lui rendre visite régulièrement, car il pensait qu’il pourrait être de nouveau soumis à la torture et aux mauvais traitements après leur visite. Nos collègues du Centre des droits de l’homme de notre Barreau ont régulièrement rendu visite au détenu.

Nos collègues du Centre des Droits de l’Homme ont rencontré un autre détenu qui aurait été torturé le 19 décembre 2019 au Bureau de lutte contre la contrebande de la Direction Générale du Commissariat de Police d’Ankara, et son témoignage concernant la torture et les mauvais traitements a également été enregistré.

Le 19 décembre 2019, l’une de nos collègues a informé l’Ordre des avocats que son mari avait été placé en détention et lorsqu’elle est allée voir son mari, il lui a dit qu’il avait été emmené officieusement à un tel « entretien » et qu’il y avait été soumis à la torture et à de mauvais traitements. Cet incident a également été rapporté dans les médias, ce qui a permis de le rendre public. Ainsi, certains de nos collègues du Centre des Droits de l’Homme de l’Association du Barreau d’Ankara ont été immédiatement mandatés et se sont rendus au Bureau antiterroriste de la Direction Générale du Commissariat de Police d’Ankara pour rencontrer la victime présumée afin de consigner ses déclarations, demandes et plaintes. Ils ont mis par écrit le récit de la personne en ce qui concerne la torture et les mauvais traitements, sous forme de procès-verbal.

La visite au Bureau de la lutte contre la contrebande et les événements qui s’y déroulent

Rencontre avec les personnes signalées comme ayant été soumises à la torture et aux mauvais traitements

Les membres de notre délégation du Centre des Droits de l’Homme ont eu des entretiens avec les personnes qui auraient été soumises à la torture et aux mauvais traitements. Leurs témoignages ont été consignés dans des procès-verbaux et signés. (L’identité des personnes interrogées est gardée confidentielle dans le présent rapport).

Les déclarations du premier détenu, également consignées dans un procès-verbal, concernant les allégations de torture et de mauvais traitements sont les suivantes : La personne interrogée a déclaré avoir été emmenée à des « entretiens » où elle a été forcée de devenir un « confesseur » par le biais de menaces et d’insultes. Le détenu a déclaré qu’il avait été emmené à un tel « entretien » à deux reprises et que ses camarades de cellule avaient également été « interrogés ».

Le détenu dit avoir été sorti de sa cellule pour la première fois le 18 décembre 2019 après la prière du Dohr et avoir été conduit au 5e étage du même bâtiment, mis – selon son estimation – dans la troisième ou la quatrième pièce à gauche, avoir reçu l’ordre de se déshabiller, n’avoir été laissé qu’avec son caleçon, y avoir été maintenu en position fœtale pendant plus d’une heure, avoir reçu de temps en temps des gifles et des coups de poing à la tête ; pendant que les tortionnaires disaient : « Deviens confesseur, alors nous te réintégrerons dans ton emploi, sinon ta femme sera aussi renvoyée ! Tu as des enfants [pense à eux]. Si tu ne coopères pas, nous prolongerons ta garde pour la troisième fois et nous continuerons à t’amener ici tous les jours et à faire les mêmes choses jusqu’à ce que tu parles ! » La personne interrogée a ajouté qu’elle a été maintenue en position fœtale pendant trois heures et que, par la suite, les mêmes personnes lui ont dit : « Réfléchis bien, reprends tes esprits. Nous viendrons te chercher à minuit », et qu’un agresseur aux cheveux longs l’a menacé en lui disant : « Je vais te jeter par la fenêtre et dire que tu as sauté, tu vas périr. »

La personne interrogée a raconté qu’ensuite, il a été ramené dans son service, que son avocat est arrivé vers 20 heures et qu’il lui a dit ce qu’il avait subi. Après le départ de son avocat et la prière du Isha, la personne interrogée a été ramenée par les agents des forces de l’ordre au cinquième étage. Là, l’un des individus présents dans la pièce lui a crié dessus en disant : « as-tu porté plainte à l’avocat ? Tu conseilles aussi d’autres personnes, on entend tout ». La personne interrogée a reçu l’ordre de se déshabiller, cette fois-ci en incluant son caleçon, a été amenée en position fœtale, l’un des auteurs lui a marché sur le talon droit, un autre lui a donné un coup de pied violent à l’épaule droite, lui a donné plusieurs coups de poing à l’arrière de la tête. La personne interrogée a indiqué qu’il y avait deux personnes dans la pièce. L’un d’eux était une personne de grande taille, à la peau foncée, avec un barbe hirsute et de longs cheveux attachés dans le dos. La personne interrogée a dit que cet individu lui avait dit : « il était aussi originaire de Malatya » et qu’il était la personne qui l’avait le plus torturé. Et l’autre individu était de taille moyenne, avec un visage rond et des cheveux légèrement grisonnants.

La personne interrogée a déclaré que les deux agresseurs l’ont insulté et lui ont juré d’innombrables fois, disant : « Je vais me taper ta mère, je vais me taper ta femme. Tu es un traître, tu es un terroriste. On va te n.q..r. Je t’emmènerai dans tous les hôpitaux un par un et je te présenterai à tout le monde comme un pédé. Je te n.q. vraiment si tu ne dis pas ceci à ton avocat aussi. » La personne interrogée a déclaré que la torture se poursuivait sans relâche, qu’il était constamment frappé à l’arrière de la tête et que lorsque les auteurs s’arrêtaient de lui jurer après une nouvelle série de coups, ils disaient : « Parle ! Avoue ! Je t’emmènerai personnellement en prison et tu seras incarcérer pour 15 ans minimum ! » La personne interrogée déclare avoir été maintenu en position fœtale pendant toute la durée de l’épreuve et que la gravité des coups portés à son corps était toujours telle qu’elle ne laissait aucun signe de coups. Ensuite, ils l’ont habillé et assis sur une chaise, il a été de nouveau frappé à la tête, l’un des auteurs lui a giflé le visage à plusieurs reprises en utilisant les deux mains et lui a dit : « Je vais prolonger la durée de ta garde à vue une troisième fois et faire de cet endroit un enfer pour toi jusqu’à ce que tu sortes. Je te donne donc une dernière chance ; retourne chez toi, réfléchis bien et reprends tes esprits. Reviens ici si tu décides de parler ». La personne interrogée a également déclaré qu’il avait été enregistré sur vidéo alors qu’il était nu et en position fœtale.

La même personne a rapporté qu’une autre personne qui était dans la même salle que lui a dit qu’il [avait également été amené à une telle  » entrevue  » et] qu’il avait été complètement nu, un des agents s’est approché de lui par derrière, l’a forcé à se pencher et lui a dit :  » Je vais te n.q..r ici maintenant. Oh, ton anus est très poilu et sale, mais je vais quand même te n.q..r ».

La même personne interrogée a rapporté qu’un autre camarade de salle lui a dit qu’il n’avait pas été déshabillé, mais qu’il avait été battu à coups de pied et à coups de poing, et qu’il avait été victime de graves insultes et jurons.

La même personne interrogée a rapporté qu’un autre camarade de salle lui a dit qu’il avait été giflé de mur en mur alors qu’il était menotté derrière le dos, qu’il avait été soumis à de lourdes insultes, qu’il avait été maintenu en attente et qu’il n’avait pas été autorisé à aller aux toilettes pendant des heures, et qu’il avait donc été forcé d’uriner sur lui-même à deux reprises. La personne interrogée a déclaré que cette personne a été emmenée pour des « entretiens » à 3 ou 4 reprises.

Interrogé sur ses demandes, l’interviewé a déclaré « Je demande que le Barreau d’Ankara s’occupe de cette affaire et me protège ; parce qu’ils vont faire les mêmes choses à nouveau. Ils feront même plus ; quand j’ai raconté pour la première fois ce qu’ils ont fait à mon avocat, ils m’ont emmené une deuxième fois et m’ont torturé plus que la première fois, et ont laissé entendre qu’ils continueraient à le faire. Ils pourraient me torturer à nouveau parce que je vous ai tout dit. C’est pourquoi je vous demande de venir me rendre visite régulièrement ».

Les déclarations du deuxième détenu, également consignées dans un procès-verbal, concernant les allégations de torture et de mauvais traitements, sont les suivantes :

– Tout comme le premier, le deuxième détenu a déclaré qu’il avait été emmené à des « entretiens » où il a été forcé à devenir un « confesseur » par le biais de menaces et d’insultes.

La personne interrogée a raconté qu’on leur avait donné de la nourriture périmée et insuffisante, qu’il y avait eu des moments où ils étaient restés 21 personnes dans une salle faite pour 5, qu’ils avaient dû dormir sur le sol nu en raison du nombre insuffisant de lits, que le sol était froid et que le nombre de couvertures n’était pas suffisant, qu’on lui avait refusé ses médicaments habituels pendant quatre jours malgré son épilepsie, qu’il avait également été emmené à de tels « entretiens » mais qu’il n’avait pas subi de mauvais traitements auparavant, mais qu’il avait subi beaucoup de pression pour « avouer ».

La personne interrogée a déclaré avoir été emmenée au 5e étage du même bâtiment le 19 décembre 2019 vers 16 h 30 et avoir été placée dans une pièce où se trouvaient cinq hommes, qu’elle a décrits comme tels :

Grand, brun, moustache touffue, cheveux gris et poids normal ;

Environ 1m60, blond, en surpoids ;

De taille moyenne, barbe très longue, portant des lunettes ;

De taille moyenne, brun, barbe foncée avec moustache, cheveux foncés ;

De taille moyenne, barbe, blond, mince.

Le détenu a déclaré qu’au moment où il est entré dans la pièce, on lui a dit de « dire ce qu’il sait », et quand il a demandé ce qu’ils voulaient apprendre, il a immédiatement été sévèrement insulté, et celui qui lui a juré de le faire est le premier homme qu’il a décrit [ci-dessus]. Ensuite, on l’a déshabillé complètement et on l’a fait allonger sur le sol. À ce moment-là, il a dit aux agresseurs qu’il souffrait d’une paralysie du côté gauche et les a également informés de ses autres problèmes médicaux. En retour, ils l’ont intentionnellement frappé à coups de poing et de pied sur son côté gauche. Il leur a dit qu’il avait des implants sur le côté droit de sa tête, mais ils l’ont frappé délibérément sur cette partie de la tête, en se disant entre-temps « On va te n.q..r maintenant pour qu’il parle ». On lui a ensuite montré une liste de noms et on lui a dit d’avouer « qu’il connaissait ces gens et qu’ils étaient affiliés à l’organisation », mais il a refusé de le faire et leur a dit qu’il ne reconnaissait pas les noms. En réponse, il a reçu des menaces : « Tu vas rester ici au moins trois jours de plus, nous te reverrons ». Puis on lui a dit de porter ses vêtements et il a été ramené au service par l’homme blond, mince et à la peau claire. La victime a déclaré que l’épreuve avait duré trois heures et a ajouté que quatre autres personnes de son service (en indiquant leurs noms) avaient également été emmenées à l’étage, une par une, et que celles qui étaient revenues s’étaient laissées tomber par terre et avaient pleuré, s’étaient coupées pendant longtemps et avaient ensuite dit qu’elles avaient subi le même traitement.

Lorsqu’on lui a posé des questions sur ses demandes, la personne interrogée a répondu « Ma demande est de me rendre visite régulièrement. Je demande à l’Ordre des avocats d’y donner suite. Le médecin ne remplit pas ses fonctions. » La personne interrogée a pleuré pendant l’entretien, qui a été observé par nos membres délégués et dûment noté dans le rapport.

LA VISITE AU BUREAU DE L’ANTITERRORISME ET LES EVENEMENTS QUI S’Y DEROULENT

Rencontre avec la personne signalée comme ayant été soumise à la torture et aux mauvais traitements

Les membres de notre délégation du Centre des Droits de l’Homme ont rencontré la personne qui aurait été soumise à la torture et aux mauvais traitements dans un endroit très petit, vitré, qui pouvait être facilement observé et entendu de l’extérieur (nos collègues ont pu facilement entendre les conversations à l’extérieur de la pièce). De plus, les agents des forces de l’ordre se promenaient constamment et attendaient devant la vitre, un agent se tenait sans cesse à l’extérieur de la vitre pour regarder l’entretien et la personne interrogée devait chuchoter lorsqu’elle s’exprimait. L’entretien s’est déroulé dans ces conditions, et le récit de la personne interrogée a été enregistré et soussigné avec la personne exposée à la torture et aux mauvais traitements (l’identité de la personne interrogée est gardée confidentielle dans le présent rapport).

Les déclarations du détenu, également consignées dans un procès-verbal, concernant les allégations de torture et de mauvais traitements sont les suivantes :

La personne interrogée a déclaré avoir été emmenée à des « entretiens » où elle a été forcée de devenir un « confesseur » par le biais de menaces et d’insultes.

La personne interrogée a dit que pendant la perquisition, il a été molesté par l’agent de police nommé İ.. lorsqu’il a demandé pourquoi l’agent en question était présent alors que des agents féminins fouillaient une pièce où se trouvaient les sous-vêtements de sa femme. Par la suite, lorsqu’elles sont montées dans la voiture, ce policier lui a dit : « Je n’ai rien dit [à l’arrière] sur l’endroit où ta femme et ta mère se trouvaient, mais je vais te faire ta peau ! N’oublie pas mon visage, reviens me voir même si la roue tourne. »

La personne interrogée a déclaré qu’ils ont été emmenés avec sept personnes à la direction du Bureau D pour les interroger un par un la nuit du mercredi (18.12.2019), qu’il y avait 7 ou 8 personnes qui l’ont interrogé, que l’un d’entre eux était un homme au ventre gros avec un bouc barbe et de longs cheveux blancs attachés dans le dos qui lui a juré à plusieurs reprises. Il a dit qu’une bouteille d’eau pétillante vide et de l’huile d’olive étaient placées devant lui, et que cet homme, en les montrant du doigt, lui a dit : « Je t’ai préparé cela, je vais t’empaler. Salaud, je vais te n.q..r ! Nous te libérerons d’ici demain matin, c’est à toi de décider où tu vas mais nous te reprendrons, et personne ne saura qui t’a pris. Nous avons des méthodes d’interrogatoire spéciales, tu dois connaître celles » qui menacent et torturent la personne interrogée de cette façon.

La personne interrogée a indiqué que beaucoup de pression était exercée sur elle au poste de directeur du Bureau D, en se faisant dire qu’il n’était « qu’une petite merde [insignifiante] ». Il a dit qu’il avait ensuite été amené de la pièce dans le couloir et qu’on l’avait forcé à rester debout sur un pied pendant une heure et demie en présence d’un policier. Pendant ce temps, d’autres personnes ont été emmenées dans la salle d’interrogatoire et il a entendu les cris et les jurons venant de l’intérieur.

La personne interrogée a dit qu’elle avait refusé de « faire des aveux », un policier a demandé à ses collègues  » s’il fallait le mettre dans le n° 2 ou le n° 3, il était constamment bousculé, la nourriture qu’on leur donnait était si mauvaise qu’elle était immangeable, il restait avec deux autres colocataires dans une chambre pour deux seulement, l’un d’eux dormant à même le sol, et les autres étaient également soumis à de mauvais traitements similaires.

Il a ajouté que lorsqu’on l’a ramené dans son service après l’ « entretien », on a ordonné qu’il soit emmené avec les mains menottées dans le dos.

La personne interrogée a indiqué que les douches et les toilettes étaient inutilisables et en très mauvais état, qu’il avait été menacé avec sa femme, que les auteurs avaient tenté d’inclure également sa femme dans l’accusation d’appartenance à une organisation [terroriste] et qu’ils l’avaient menacé de ne plus pouvoir marcher après qu’ils en auraient fini avec lui [s’il ne coopérait pas].

Lorsqu’on lui a posé des questions sur ses demandes, la personne interrogée a déclaré : « Je demande à l’Association du Barreau de suivre mon cas, de garder mon identité anonyme et d’être visité régulièrement ».

ÉVALUATIONS

Les personnes interrogées ont déclaré qu’elles avaient été soumises à la torture et à des mauvais traitements.

L’article 17/3 de la Constitution sur l’interdiction de la torture dispose que :

« Nul ne peut être soumis à la torture ou à des mauvais traitements ; nul ne peut être soumis à des peines ou à des traitements incompatibles avec la dignité humaine. »

L’article 3 de la CEDH dispose que :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

L’article 1 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dispose que :

« Aux fins de la présente Convention, le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, ou en l’intimidant ou en faisant pression sur lui ou sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Elle ne comprend pas la douleur ou les souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.

Le présent article est sans préjudice de tout instrument international ou de toute législation nationale qui contient ou peut contenir des dispositions d’application plus large. »

La torture et les mauvais traitements sont donc interdits par les normes internationales et nationales.

L’article 4 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est le suivant :

« Tout État partie veille à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal. De même, la tentative de commettre des actes de torture et tout acte de toute personne qui constitue une complicité ou une participation à la torture sont considérés comme des infractions.

Chaque État partie rend ces infractions passibles de peines appropriées qui tiennent compte de leur gravité. »

Les normes internationales stipulent que la torture doit être définie comme un crime et que des sanctions pénales doivent être appliquées. Et la Turquie est l’un des États parties à la convention susmentionnée.

L’article 94 du Code pénal turc est le suivant :

« (1) Tout agent public qui cause une douleur physique ou mentale aiguë, ou une perte de conscience ou de capacité d’agir, ou déshonore une personne, est condamné à une peine d’emprisonnement de trois à douze ans.

(2) Les infractions sont passibles d’une peine d’emprisonnement de 8 à 15 ans si elles sont commises contre ;

  1. a) un enfant, une personne incapable de se défendre physiquement ou mentalement ou une femme enceinte,
  2. b) un avocat ou d’autres fonctionnaires pour leurs fonctions officielles.

(3) Si l’infraction est commise sous forme de harcèlement sexuel, l’auteur de l’infraction est condamné à une peine d’emprisonnement de 10 à 15 ans.

(4) Toute autre personne qui participe à la commission de cette infraction est condamnée d’une manière équivalente à l’agent public.

(5) Si l’infraction est commise par négligence, la peine à infliger ne sera pas réduite. »

Conformément au Code pénal turc, le délit de torture entraîne des sanctions pénales. Cet égard, compte tenu des constatations ci-dessus, une enquête devrait être ouverte immédiatement contre les personnes concernées. Et si l’exactitude de ces allégations sont établies à l’issue d’une enquête menée conformément aux normes internationales, les membres des forces de l’ordre qui ont porté atteinte à l’intégrité physique et mentale des suspects, en premier lieu ceux qui ont toléré ou commis le crime de torture, devraient être identifiés et sanctionnés de manière proportionnée à leurs actes.

A cette fin, il est nécessaire et requis par la loi d’effectuer ce qui suit :

– Étant donné que les agents des forces de l’ordre chargés de mener la procédure pourraient être les suspects d’une éventuelle enquête sur des actes de torture et des mauvais traitements infligés aux détenus, ces agents devraient être écartés de l’enquête afin de prévenir de nouveaux actes de torture et de mauvais traitements et de garantir le bon déroulement de l’enquête.

– Afin de garantir que les examens médicaux quotidiens sont effectués conformément au protocole d’Istanbul auquel la Turquie est partie, les directives nécessaires devraient être données.

– Tous les suspects qui sont actuellement détenus par le Bureau de lutte contre la contrebande et le Bureau de lutte contre le terrorisme de la Direction Générale de la Sécurité de la Province d’Ankara devraient être traduits sans délai devant un procureur afin que leurs témoignages soient recueillis sans attendre la fin des interrogatoires de police.

– Considérant la possibilité que le crime de torture ait effectivement été commis, une enquête d’office devrait être ouverte, une enquête judiciaire efficace et suffisante pour établir la vérité matérielle et identifier les auteurs devrait être menée, en particulier pour recueillir des preuves et prévenir une éventuelle dissimulation des éléments de preuve ; des membres et des unités de l’Organisation de la gendarmerie provinciale devraient être employés pour cette enquête, et des membres et des unités de la force de police ne devraient pas être directement déployés dans ce cas particulier, conformément à l’article 160 2) et 154 du Code pénal turc n° 5271.

– Toutes les images non-retouchées de vidéosurveillance des lieux concernés, à commencer par les lieux des différents centres de détention où les suspects étaient détenus à la Direction Générale de la Sécurité de la Province d’Ankara, et toutes les images des bureaux de lutte contre la contrebande et le terrorisme, y compris celles des caméras qui surveillent les entrées et les sorties de tous les côtés, devraient être immédiatement collectées de manière à permettre de déterminer les moments où les suspects détenus ont été emmenés pour les « entretiens » et d’identifier tous les agents des forces de l’ordre concernés. Il est important que cela soit fait sans délai, car on sait qu’auparavant, les demandes de ce type concernant des allégations de coups et blessures et de torture par des agents des forces de l’ordre à l’encontre d’avocats et de suspects ont été satisfaites avec la réponse que toutes les images avaient été effacées après avoir été conservées pendant trente jours. Et, comme la destruction de ces images entraînera clairement la dissimulation des éléments de preuve relatifs aux allégations de torture et de mauvais traitements, les obligations légales de recueillir et de mettre en sécurité tous les éléments de preuve doivent être respectées.

– Des procédures de détection et d’identification, conformes aux descriptions des personnes interrogées sur leurs tortionnaires, devraient être mises en place.

– Étant donné que les agents des forces de l’ordre chargés de l’enquête peuvent être les suspects d’une éventuelle enquête sur des actes de torture et des mauvais traitements, le personnel participant auxdites opérations devrait être suspendu jusqu’à ce que l’enquête sur les actes de torture et les mauvais traitements présumés soit terminée.

– Les lieux de détention devraient être surveillés ; le surpeuplement et les autres conditions de détention inadaptées à la dignité humaine devraient être éliminés.

A cet égard, nous soumettons au public que, si le bureau du procureur général d’Ankara le demande, nous sommes prêts à soumettre les procès-verbaux et les documents officiels rédigés par les membres du conseil d’administration et du centre de notre association du barreau, et nous continuerons, en tant qu’association du barreau d’Ankara, notre lutte juridique dans tous les domaines pour éradiquer la torture et les mauvais traitements.

CENTRE DES DROITS DE L’HOMME DE L’ASSOCIATION DU BARREAU D’ANKARA