TOP
h

Collectif DDH

FÉVRIER 2024 – ACTUALITÉ DES DROITS HUMAINS EN TURQUIE

* * *

SITUATION DES DROITS HUMAINS EN TURQUIE EN JANVIER 2024

* * *

Cliquez ici pour la version PDF Février 2024 CDDH

PRIVATION ARBITRAIRE DE LA VIE ET DISPARITIONS FORCÉES

Aucune nouvelle de Yusuf Bilge Tunç, un ancien travailleur du secteur public qui a été licencié par un décret-loi au cours de l’état d’urgence de 2016-2018 et qui a été signalé disparu le 6 août 2019 dans ce qui semble être l’un des derniers cas d’une série de disparitions forcées présumées de critiques du gouvernement depuis 2016.

À la suite d’un récent glissement de terrain dans la mine d’or de Çöpler, dans la province d’Erzincan, des rapports ont révélé que des représentants du gouvernement et de l’entreprise avaient ignoré plusieurs avertissements concernant une catastrophe potentielle, ce qui a conduit à un événement tragique au cours duquel neuf travailleurs ont été piégés sous des débris toxiques.

TORTURE ET MAUVAIS TRAITEMENTS

Une femme, Aysun Işınkaralar, détenue pour avoir géré un dortoir affilié au mouvement Gülen, a décrit dans une interview accordée au site d’information Kronos les tortures qu’elle a subies pendant sa détention. Pendant sa garde à vue, elle a subi des chocs électriques, des tentatives d’étranglement, du harcèlement sexuel et un simulacre d’exécution.

96 personnes détenues dans le cadre de l’enquête sur l’attaque armée du palais de justice d’Istanbul Çağlayan ont été soumises à un menottage inversé lors de leur transfert à l’hôpital et à des actes de torture et des mauvais traitements lors de la prise de leurs empreintes digitales.

Un enfant de 17 ans a été soumis à la violence physique de la police dans le district Seydişehir de Konya le 20 février 2024, au motif qu’il a réfusé d’obtempérer alors qu’il conduisait la voiture de son père.

Un enfant de 17 ans a été soumis à la violence physique de la police dans le district Seydişehir de Konya le 20 février 2024, au motif qu’il a réfusé d’obtempérer alors qu’il conduisait la voiture de son père.

Conditions carcérales

Vefa Yılmaz, un prisonnier de la prison de type L de Rize a été transféré à la prison de type S de Samsun Kavak contre son gré le 29 janvier 2024, et qu’il a été soumis à des violences physiques et a été maintenu en cellule d’isolement pour s’être opposé à la fouille à nu pendant le transfert et dans la prison. Similairement, plusieurs cas de transfert imposée sont reportés.

Dans la prison fermée de haute sécurité de type F de Kırıkkale il est allégué que la nourriture prévue pour les prisonniers est insuffisante.

Certaines femmes détenues à la prison de type L de Çorum sont enfermées à 28 dans des cellules pour 7 personnes.

Un prisonnier nommé Fikret Erden n’a pas reçu ses médicaments dans la prison de haute sécurité de type F de Kırıkkale.

RÉPRESSION DE GULENISTES

Tout au long du mois, les procureurs  ont ordonné l’arrestation d’au moins 445 personnes pour des liens présumés avec le mouvement Gülen.

* Infographe produite grâce aux données de l’association Solidarity with OTHERS

En octobre 2020, un avis du Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire (GTDA) a estimé que l’emprisonnement généralisé ou systématique de personnes ayant des liens présumés avec le groupe pouvait constituer un crime contre l’humanité.

Gülden Aşık, une femme emprisonnée pour liens avec le mouvement Gülen et qui a récemment subi une intervention chirurgicale pour un cancer de la thyroïde, est sur le point de retourner en prison quelques jours après sa sortie des soins intensifs.

REPRESSION À l’EGARD DES KURDES

Les tracts par le Parti de l’égalité et de la démocratie des peuples (DEM) et le Parti des régions démocratiques (DBP) pour le 21 février, Journée mondiale de la langue maternelle et les élections locales, avec le slogan « Dem dema zimanê Kurdî ye » ont été empêchés par le syndic d’être accrochés sur les panneaux d’affichage.

Dicle Müftüoğlu, une journaliste kurde arrêtée en mai pour terrorisme, a entamé une grève de la faim pour attirer l’attention sur la criminalisation des activités journalistiques en Turquie.

Une cour d’assises du sud-est de la Turquie a annoncé son verdict dans le procès de 15 politiciens kurdes locaux accusés de terrorisme, prononçant des peines totalisant près de 104 ans de prison.

10 personnes (Yunus Emre Cangir, Abdullah Toka, Mehmet Zahir Sarıtaş, Fuat Yıldım, Zeynep Nas, Saniye Kaysi, Mizgin Yılmaz, Aysel Sartık, Esmer Oktayi et Dılbirin Oktayi), dont les membres de la plateforme Mères de la Paix et du parti DEM, ont été arrêtées lors de perquisitions à domicile à Siirt.

REPRESSION TRANSFRONTALIÈRE

Les autorités turques ont continué à organiser l’enlèvement et la restitution à la Turquie d’individus ayant des liens présumés avec le mouvement Gülen, a déclaré Human Rights Watch dans un récent rapport.

Abdülhamit Bilici, ancien rédacteur en chef du quotidien Zaman, aujourd’hui fermé, a témoigné de la répression transnationale exercée par le gouvernement turc lors d’une audition au Congrès à Washington.

DROITS DES FEMMES

Au moins 37 femmes ont été assassinées par des hommes tandis que 13 sont mortes dans des circonstances suspectes, selon les rapports mensuels publiés par BIANET.

43 femmes ont été victimes de la violence physique.

DÉFENSEURS DES DROITS

Un rapport sur l’achernament juridique et la répression généralisée à l’encontre des avocats en Turquie à la suite d’une tentative de coup d’État en 2016 pour avoir exercé la profession d’avocat fait l’état de la façon systématique dont les avocats sont menacées.

Les autorités turques ont arrêté quatre avocates, Betül Vangölü Kozağaçlı, Seda Şaraldı, Didem Baydar Ünsal et Berrak Çağlar, de l’Association des avocats progressistes (ÇHD).

Le parlement turc a annoncé en session plénière un arrêt de la Cour de cassation confirmant la condamnation à 18 ans de prison d’un législateur emprisonné, Can Atalay, le privant ainsi de son statut de parlementaire, au mépris des décisions successives de la Cour constitutionnelle du pays.

Ahmed Katie, un militant syrien des droits de l’homme porté disparu en novembre après avoir critiqué ouvertement l’aggravation du traitement des réfugiés par la Turquie, figure parmi les personnes arrêtées par les autorités turques, accusées d’espionnage pour le compte des services de renseignement français.

À Mersin, 14 personnes, dont Nuray Şahin, responsable de l’Association Çukurova pour l’assistance aux familles des prisonniers et détenus (Çukurova TUAY-DER), ont été arrêtées lors de perquisitions à domicile. Il fait été d’une décision de confidentialité sur l’enquête et d’une ordonnace interdisant les visites d’avocats pentant 24 heures.

MINORITÉS ET GROUPES DÉFAVORISÉS

La chaîne en langue anglaise du radiodiffuseur public turc, TRT World, a annoncé que sa plateforme numérique internationale diffuserait bientôt une série documentaire anti-LGBT, qualifiant la communauté de « lobby LGBT » et prétendant « révéler le côté obscur de l’idéologie du genre ».

Association of Civil Society Development Center (STGM) dénonce que le gouvernement turc soumet les groupes indépendants à des restrictions croissantes, y compris des tactiques de diffamation, un harcèlement administratif et la menace de poursuites pénales.

Birol Aydın, candidat à la mairie d’Istanbul du parti Saadet, a employé des expressions discriminatoires et phobiques lors de la réunion de présentation des candidats à la municipalité métropolitaine d’Istanbul du Felicity Party : « Istanbul est devenue comme un geyser. Les perversions appelées LGBTI se sont répandues dans tous les domaines » et a utilisé des expressions discriminatoires et phobiques.

Veli Gündüz Şahin, candidat à la mairie d’un district d’Ankara, issu du Parti républicain du peuple (CHP), principal parti d’opposition, s’est attiré des critiques pour les remarques discriminatoires qu’il a faites sur les enfants réfugiés lors de sa campagne pour les élections locales de mars.

Un haut fonctionnaire du ministère turc de l’éducation a averti que certaines écoles privées du pays pourraient être fermées en raison de célébrations d’événements tels que Noël, Pâques et Halloween qui, selon lui, sont incompatibles avec les coutumes et les traditions turques. Ensuite avec un arrêté ministriel la célébration de telles fêtes ont été interdites dans les établissements scolaires.

LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DES MÉDIAS

Le Conseil suprême de la radio et de la télévision (RTÜK), le régulateur turc de la diffusion et du streaming, a imposé plus de 9 amendes administratives et des arrêts temporaires de diffusion à un certain nombre de chaînes de télévision en raison de leur contenu.

La chaîne publique de radio et de télévision turque (TRT) a consacré 78 fois plus de temps d’antenne au président Recep Tayyip Erdoğan et aux hommes politiques de son Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir qu’au principal chef de l’opposition Özgür Özel, entre le 1er janvier et le 10 février.

Müslüm Koyun, membre du Comité exécutif central (MYK) de la Fédération des associations de jeunesse socialiste (SGDF), a été détenu le 9 février 2024 à Eskişehir lors d’une perquisition à domicile en raison de publications sur les médias sociaux.

Le 11 février, la pièce de Şano Ar « Qral û Travîs », qui devait être jouée au centre culturel du musée de Zeugma, a été interdite un jour avant la représentation.

2 membres de la Jeunesse travailliste dans le district de Kadıköy à Istanbu ont été placés en garde à vue  pour avoir accroché des affiches sur la destitution parlementaire de Can Atalay, député de Hatay du Parti des travailleurs de Turquie (TİP).

Une avocate turque, Feyza Altun, a été arrêtée pour avoir insulté la charia, la loi religieuse qui fait partie de la tradition islamique, sur le média social X.

Sedat Cezayirlioğlu, un militant environnemental local connu pour son plaidoyer de longue date contre l’exploitation aurifère dans la région, a été arrêté en raison de ses remarques dans des vidéos qu’il a publiées sur les réseaux sociaux en réaction à l’incident de l’exploitation aurifère à Erzincan.

Ciblage des journalistes

Un procureur turc demande l’arrestation de six journalistes qui ont été détenus en début de semaine à İzmir sur la base d’accusations liées au terrorisme.

Une enquête a été ouverte sur la journaliste Çiğdem Toker en raison de ses commentaires à la télévision sur les résultats du second tour de l’élection qui a vu le président Recep Tayyip Erdoğan s’assurer un nouveau mandat.

Un tribunal turc a condamné le journaliste Zafer Arapkirli pour insulte en raison de ses critiques sur les réseaux sociaux à l’égard de l’ancien ministre de l’Intérieur Süleyman Soylu et de l’actuel commandant général de la gendarmerie Arif Çetin.

Une peine de prison allant jusqu’à 5 ans est requise pour le journaliste Tolga Şardan, en raison de l’un de ses articles de l’année dernière dans lequel il parlait de la corruption présumée dans le système judiciaire.

Une autre peine de 10 ans est requise pour Hayko Bağdat, un journaliste turco-arménien basé en Allemagne, accusé d’avoir insulté le président Recep Tayyip Erdoğan.

Censure

Les autorités turques ont recouru à 46 décisions de censure, interdisant l’accès à au moins 1401 URL en janvier, qui concernaient des articles d’actualité, des posts de médias sociaux et des domaines. Sur ces 1401 URL, 972 contenaient des articles d’actualité et 426 étaient des posts de médias sociaux.

L’autorité turque des télécommunications (BTK) a décidé d’interdire Twitch, l’une des plateformes de diffusion en direct les plus populaires du pays, et Kick, suite à une notification de la direction générale de la loterie nationale (Milli Piyango).

À la demande de la Direction générale de la sûreté, 45 messages publiés sur les médias sociaux après que la zone de lixiviation en tas du site de la mine d’or de Çöpler, où Anagold Madencilik Sanayi ve Ticaret A.Ş. produisait de l’or dans le district d’İliç d’Erzincan, a glissé et que 9 travailleurs ont été enterrés sous le sol, ont été interdits d’accès par le 8e tribunal pénal d’Ankara pour des raisons de sécurité nationale et de protection de l’ordre public.

La Cour constitutionnelle a jugé que plus de 500 cas d’ordonnances judiciaires de suppression de contenu ou de restrictions d’accès, y compris des articles de presse citant un rapport spécial de Reuters en juin sur une enquête internationale impliquant Bilal Erdoğan, le fils du président Recep Tayyip Erdoğan, étaient anticonstitutionnels.

Plusieurs contenus et plateformes en ligne ont été censurés, majoritairement ceux qui dénoncent les illégalités commises par le gouvernement :

  • 143 reportages et publications sur les réseaux concernant un député du Parti du mouvement nationaliste (MHP) de Mersin pour motif de violation des droits de la personne,
  • Au moins 3 articles et chroniques sur le président provincial de l’AKP à Izmir, Bilal Saygılı, ont été interdits d’accès par la décision du 4ème tribunal pénal d’Izmir pour cause de violation des droits de la personne,
  • Au moins 3 articles de presse concernant l’affaire foncière impliquant Mehmet Uçum, conseiller en chef du président, ont été bloqués par le 3e tribunal pénal d’Istanbul Anatolie pour violation des droits de la personne.
  • Au moins 3 reportages sur la plainte de l’Association du Barreau de Diyarbakır auprès du Conseil des juges et procureurs (HSK) contre Gülsüm Akkoyun, le juge qui a acquitté les officiers de police accusés en relation avec l’attentat à la bombe d’ISIS sur la place İstasyon le 5 juin 2015.

LIBERTÉ DE RÉUNION ET D’ASSOCIATION

Les étudiants de l’Université d’Istanbul, qui devaient tenir un forum le 22 février 2024 pour protester contre la décision d’ouvrir le campus de l’Université d’Istanbul aux visiteurs, ont été empêchés d’entrer sur le campus par la police.

Interdictions

Plusieurs arrêtés d’interdiction de manifestation ont été signés par les préfets :

  • Tunceli : le préfet a interdit le passege vers Erzincan 5 jours,
  • Bingöl : un concert de Metin et Kemal Kahraman prévu par Eğitim-Sen le 21 février, Journée mondiale de la langue maternelle, par le préfet,
  • Bitlis, Hakkari et Agri : tous les évènements et rassemblements pendant 4 jour, toujours par des arrêtés préfectoraux.

Arrestations et procès

Plusieurs personnes ont été arrêtées lors des manifestations :

  • 5 personnes à Istanbul, lors de la commémoration de la Confédération des syndicats révolutionnaires (DISK), de la Confédération des syndicats de fonctionnaires (KESK), de l’Union des chambres des ingénieurs et architectes turcs (TMMOB) et de l’Association médicale turque (TTB) pour l’anniversaire du tremblement de terre du 6 février 2023,
  • 23 personnes à Istanbul, lors d’une déclaration de presse des travailleurs d’Özak Tekstil devant un centre commercial du quartier de Beylikdüzü,
  • 1 personne parmi les membres du syndicat des enseignants du secteur privé qui voulaient tenir une déclaration de presse à Ankara le 30 janvier 2024 pour protester contre la violence physique de Melih Can Kurt, un enseignant, par le directeur de l’institution pour laquelle il travaille et qui exigeait son salaire,

IMPUNITÉ ET INDEPENDANCE JUDICIAIRE

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan s’en est pris à deux des plus hautes juridictions du pays en raison de certains arrêts allant à l’encontre de la position de son gouvernement, qualifiant leurs décisions d' »incompréhensibles » et de « déstabilisantes ».

Il a également nommé Yılmaz Akçil, un magistrat connu pour ses décisions controversées, en tant que membre de la Cour constitutionnelle de Turquie, dans un nouveau développement qui soulève des inquiétudes quant à la politisation du système judiciaire du pays.

La Cour constitutionnelle a refusé de rendre une troisième décision dans l’affaire d’un homme politique d’opposition emprisonné, Can Atalay, qui a été déchu de son statut de parlementaire le mois dernier, étant donné que ses deux décisions précédentes selon lesquelles ses droits avaient été violés n’ont pas été respectées par les juridictions inférieures.

La récente déclaration du ministre turc de la Justice, Yılmaz Tunç, selon laquelle la Turquie a un taux de conformité de 90 % avec les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), a été accueillie avec scepticisme par les experts, qui affirment que le ministre utilise les données pour créer une fausse perception.

Un ancien juge ayant été démis de ses fonctions après avoir déposé un recours contre la nomination du président Recep Tayyip Erdoğan en tant que candidat à l’élection présidentielle de l’année dernière a été empêché de saisir la CEDH dans les délais impartis, en raison d’une perte de courrier.

La Direction des affaires religieuses de Turquie (Diyanet) a muté et temporairement interrompu toute possibilité de promotion ou d’augmentation de salaire pour un imam, Yusuf Kılıç, pour avoir refusé d’amener sa congrégation au rassemblement électoral du président Recep Tayyip Erdoğan en avril de l’année dernière.