BULLETIN D’INFORMATION MENSUEL SUR LES DROITS DE L’HOMME EN TURQUIE
Au cours du mois d’avril, Amnesty International a publié son rapport de 2019 dans lequel il a fait remarquer les constats suivants concernant la Turquie:
« Les dissidents, avérés ou présumés, ont continué de faire l’objet d’une répression sans merci en 2019, malgré la levée, en juillet 2018, de l’état d’urgence instauré pendant deux ans dans le pays. Plusieurs milliers de personnes ont été maintenues en détention provisoire de façon prolongée et à titre punitif, souvent sans qu’il n’existe aucun élément de preuve crédible indiquant qu’elles auraient commis une quelconque infraction reconnue par le droit international. Les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique ont été fortement restreints, et des personnes considérées comme critiques à l’égard du gouvernement en exercice – en particulier des journalistes, des militants politiques et des défenseurs des droits humains – ont été arrêtées. Elles devaient parfois répondre d’accusations forgées de toutes pièces. Les autorités ont continué d’interdire de façon arbitraire des manifestations et de recourir à une force injustifiée et excessive pour disperser des personnes qui manifestaient pacifiquement. Des informations dignes de foi ont fait état d’actes de torture et de disparitions forcées. La Turquie a procédé au renvoi forcé de réfugiés syriens, mais elle continuait d’accueillir plus de personnes réfugiées que tout autre pays au monde. »
La situation des prisonniers politiques dans le contexte du Covid-19
Au mois d’avril, le Parlement turc a adopté une loi visant à libérer des milliers de prisonniers dans le cadre d’une remise de peine. Malheureusement les prisonniers d’opinion, accusés de « terrorisme », terme fréquemment utilisé en Turquie contre les opposants tels que les kurdes, les gülenistes et certains partisans de tendance gauche, ont été exclus de ce règlement. La loi est portée actuellement devant la Cour constitutionnelle turque pour contrôler constitutionnalité.
Des rapporteurs de l’APCE, Thomas Hammarberg (Suède, SOC), John Howell (Royaume-Uni, CE/AD) et Boriss Cilevičs (Lettonie, SOC) préconisent des mesures juridiques urgentes pour remédier aux effets discriminatoires de la loi turque sur l’application des peines.
M. Nacho Sanchez Amor, le rapporteur du Parlement européen sur la Turquie a exprimé que la situation concernant les amendements acceptés au Parlement turc, excluant les détenus politiques et les personnes en détention provisoire, était une grande déception.
Harlem Désir, chargé de la liberté de la presse à l’OSCE a déclaré que dans les circonstances actuelles en Turquie, une décision humanitaire devrait être prise en faveur des journalistes détenus pour leur permettre de retrouver leur famille.
Les avocats et certaines parlementaires dénoncent que le nombre de personnes présentant des symptômes du Covid-19 en Turquie soit caché au grand public et qu’aucune mesure n’ait été prise pour protéger la vie desdites personnes.
Liberté de la Presse et d’expression
Le rapport publié au mois d’avril par la Plateforme pour la protection du journalisme et la sécurité des journalistes a indiqué les remarques suivantes sur la liberté de la presse en Turquie :
« Bien que, selon les chiffres de la Plateforme, le nombre de journalistes emprisonnés en Turquie ait baissé de 110 à 91 en 2019, la Turquie demeure un pays extrêmement répressif pour la presse. Les autorités et les tribunaux turcs continuent d’assimiler le journalisme critique à une activité terroriste criminelle. Cette tendance ne peut être inversée avec succès tant que perdure la politisation des tribunaux. Les organisations partenaires appellent de toute urgence à la modification ou l’abrogation nécessaire de la législation antiterroriste du pays et à la mise en place de garanties efficaces en faveur de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Les gouvernements européens, le Conseil de l’Europe 135 Commission de Venise du Conseil de l’Europe et l’UE sont instamment invités à accorder la plus haute priorité aux mesures visant à aider les autorités turques à mettre fin à la violation systématique des normes démocratiques et à rétablir la liberté de la presse et l’État de droit. »
Le journaliste Hakan Aygün a été arrêté sous l’accusation d’avoir insulté la campagne de solidarité concernant le Covid-19, lancée par le Président Tayyip Erdoğan.
Le Haut-conseil turc de la radio et de la télévision (RTÜK) a ordonné des sanctions de suspension de diffusion aux trois chaines de TV opposantes suivantes : Fox TV, Halk TV et Tele 1.
Par ailleurs, selon le ministère de l’Intérieur, 402 personnes ont été mises en garde à vue sous prétexte de leurs messages écrits sur les réseaux sociaux concernant l’épidémie du Covid-19 depuis le début de l’épidémie.
L’abus d’accusation de terrorisme
L’intimidation du gouvernement contre ses opposants politiques par le biais des accusations arbitraires liées au terrorisme a continué au mois d’avril.
Les Barreaux d’Istanbul, Ankara, Diyarbakır, Izmir, Bursa, Antalya, Adana, Mersin, Van, Urfa, Antep, Hatay, Denizli, Mardin, Artvin et Aydın ont partagé une vidéo intitulée « Le savez-vous ? » remettant en question sur le fait de comprendre comment 18 avocats de l’Association des juristes contemporains (ÇHD) ont été condamnés à 159 ans, 1 mois, 30 jours de prison au total. ÇHD a aussi annoncé que les avocat détenus, Ebru Timtik et Aytaç Ünsal ont transformé leur grève de la faim en un jeûne de la mort.
Quant aux Kurdes, les perquisitions ont continué, et dans ce cadre-là, plusieurs personnes ont été mises en garde à vue dans les villes de Tunceli (Pertek), Diyarbakır (Lice) et Van (İpekyolu).
Tortures et mauvais traitements durant la détention, enlèvements
Selon le ministère de la Justice, Abdulhamid Gül, il existe 120 prisonniers atteints du Coronavirus dans 4 centres pénitentiaires. D’autre part, selon les données du site internet https://cezaevindekorona.com/, il y a 127 prisonniers et 131 personnels de centres pénitentiaires atteints de Coronavirus et 5 personnes décédées (au mois d’avril).
En avril 2020, plusieurs plaintes concernant des victimes de mauvais traitements et de négligences dans le contexte de précautions contre le Covid-19, ont été reçues des centres pénitentiaires de :
Van (type T), Urfa Hilvan (type T), Ordu (type E), Şırnak (type T), İzmir Aliağa Şakran (type T), Batman (type M), Diyarbakır (type T), Adana Kürkçüler (type F), Osmaniye (type T), İzmir Ödemiş (type T), Denizli Kocabaş (type T), Balıkesir Bandırma (type T), Maraş Türkoğlu (type L), Siirt (type E), Trabzon Beşikdüzü (type T), Tekirdağ (type F), Mersin Tarsus (type T), Antalya Alanya (type L), Adana Kürkçüler (type F), Aydın, Ankara Sincan (femmes) Kırıkkale (type F), Düzce (type T), Kayseri Bünyan (femmes), Rize Kalkandere (type L), Ağrı Patnos (type L).
Il a été rapporté qu’un enfant prisonnier de 17 ans nommé Ali Erdoğan s’est suicidé dans sa cellule dans le centre pénitentiaire de Şakran (İzmir).
Deux membres de l’Association d’aide aux familles des détenus et des condamnés (TUHAY-DER) ont été arrêtés à Van.
Au mois d’avril, il y a eu 2 décès de grève de la faim : Mustafa Kocak qui demandait un « procès équitable » est mort à la suite d’une grève de la faim de 297 jours. Helin Bölek, l’une des chanteuses de Grup Yorum, est décédée après une grève de la faim de 288 jours. Un autre gréviste du même groupe, İbrahim GÖKÇEK, continue cette grève.
Il a été rapporté que Resul Özdemir, membre du YDG-H (une branche du PKK) dont sa demande d’asile en Suède a été rejetée et qui a été envoyé en Turquie, a subi des tortures après son arrivée en Turquie.
Human Rights Watch a publié son rapport concernant les disparitions forcées en Turquie. Celui-ci déclare qu’au cours des trois dernières années, 16 affaires de ce type – dont 15 concernent des hommes – ont été constatées et dans l’un de ces 16 cas, aucune information n’est disponible au sujet de l’homme « disparu ».
Conflit kurde et répression de l’opposition
Le corps d’Agit Ipek, membre du HPG (groupe armé lié au PKK), tué en 2017 à Tunceli, a été envoyé à sa mère par colis postal 3 ans après sa mort.
30 propositions visant à supprimer l’immunité parlementaire des 21 députés du parti HDP ont été présentées au Parlement.
Un couvre-feu a été proclamé dans les 3 quartiers de Mardin Dargeçit.
Liberté de réunion
Au cours du mois d’avril, les manifestations pour motif de reprendre leur travail et pour protester contre les KHK (décrets-lois), ont été empêchées par la police à Ankara, Düzce et İzmir.
Tout rassemblement a été interdit par les préfectures de Kocaeli, Van et Hakkari durant le mois d’avril.
Les réfugiés en Turquie
En période d’épidémie, les réfugiés en Turquie font face à de nombreuses difficultés notamment de nature économique, discriminatoire et sanitaire.
En ce qui concerne les centres de rétention des migrants, les ONG ont condamné l’hygiène insuffisante dans les centres où des migrants sont maintenus sans respecter les mesures de distance. C’est ainsi que, suite à de nombreuses requêtes reçues par le Barreau d’Izmir, des questions ont été soulevées auprès du ministre de l’Intérieur, Suleyman Soylu, relatives notamment à la situation du Centre de rétention Harmandalı où le nettoyage ne serait pas assuré et où il n’y aurait pas de désinfectant.
De la même sorte, la situation des migrants sans papier est aussi une source d’inquiétude à tel point que le Centre des droits de l’homme du Barreau d’Istanbul a fait, sur la base des plaintes lui étant adressées, une déclaration, le 2 avril, faisant état que certaines personnes porteuses du symptôme Covid-19 se sont vues refuser l’accès aux hôpitaux.
Enfin, un événement scandaleux a eu lieu le 27 avril à Adana. Ali El Hemdan, réfugié syrien de 18 ans, travailleur, a été tué par balle par la police au motif qu’’il n’avait pas respecté le couvre-feu.
LGBT-Q
Le Directeur des Affaires religieuses Ali Erbaş, dans son sermon du vendredi, a délivré un message anti LGBT en les qualifiant d’ « hérétiques » et de vecteurs de pandémie actuelle. Suite à la plainte du Barreau d’Ankara contre M. Erbaş pour incitation à la haine, le porte-parole de l’AKP a qualifié le Barreau de « fasciste ». Une enquête a été ouverte contre le barreau d’Ankara.
Féminicides
Au cours du mois d’avril, 20 femmes ont été tuées et 20 femmes sont mortes de manière suspecte. A cause de l’épidémie, des enquêtes approfondies n’ont pas pu être effectuées.