BULLETIN D’INFORMATION MENSUEL SUR LES DROITS DE L’HOMME EN TURQUIE
Voici le lien vers la version PDF
Durant les mois de juillet et aout 2020, la détérioration au sujet des droits de l’homme a continué.
Tortures et violences policières
Le Comité pour la prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe a publié les rapports de sa visite périodique de 2017 et de sa visite ad hoc de 2019 en Turquie, qui ont relevé des problèmes persistants de traitements arbitraires, de mauvais traitements, de conditions de détention insalubres, de surpopulation, de torture et de harcèlement par les fonctionnaires.
La Cour constitutionnelle turque a défié une décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui a conclu que la détention provisoire d’un ancien juge était contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.
La Cour constitutionnelle de Turquie a rejeté un appel du parti CHP visant à abroger une loi sur la libération anticipée de quelque 90 000 détenus au milieu de la pandémie de Covid-19 tout en discriminant les prisonniers politiques. Le parti CHP avait porté la loi devant la cour suprême au motif qu’elle violait le droit constitutionnel à l’égalité.
Il y a eu des violences policières durant les contrôles policiers à Diyarbakır (Bağlar), İstanbul (Beyoğlu, Bağcılar), İzmir (Karşıyaka), Batman, (Şırnak), Bursa (Yıldırım) et à Van (Başkale).
Tacettin Kardaş, arrêté pour ses partages dans les réseaux sociaux, a subi des tortures dans le centre de gendarmerie à Sur (Diyarbakır)
Au mois de juillet et d’aout, plusieurs plaintes concernant des victimes de mauvais traitements ont été reçues des centres pénitentiaires de Akhisar (type T), Patnos (type L), Osmaniye (type T), Şırnak (type T), Diyarbakır (femmes), Tekirdağ (Type F), Kahramanmaraş (type L), Elazığ, Çorum (Type L), Sincan (femmes), Bakırköy (femmes)
Dans plusieurs centres pénitentiaires, des prisonniers font la grève de la faim pour protester contre les conditions inhumaines dans les prisons, dont Urfa (type T) : 9, Osmaniye (type T) : 3, Aksaray (type T) : 5, Tekirdağ (type F) :6, Tokat (type T) :1, Isparta (type E) :1, Elazığ (type T) : 3. Ces prisonniers ont arrêté leur grève de la faim après avoir obtenu leur droits.
L’avocat emprisonné Ebru Timtik, condamné à plus de 13 ans de prison pour terrorisme, est décédé après 238 jours de grève de la faim visant à exiger un procès équitable. Aytaç Ünsal membre de l’Association des juristes contemporains (ÇHD), était toujours dans un état de jeûne de la mort au mois d’aout.
DROIT DE MANIFESTATION
Un groupe de personnes rassemblées devant la résidence du président Recep Tayyip Erdoğan pour tenir un communiqué de presse en solidarité avec les avocats emprisonnés Ebru Timtik et Aytaç Ünsal ont été bloqués et détenus par la police.
La police a attaqué des personnes en deuil rassemblées dans un centre culturel alévi à Istanbul pour rendre hommage à l’avocat emprisonné Ebru Timtik.
Les militants Nuriye Gülmen, Acun Karadağ, Alev Şahin, Armağan Özbaş, Mahmut Konuk, Mehmet Dersulu et Nazan Bozkurt, connus pour leurs protestations visant à sensibiliser le public aux dizaines de milliers d’anciens travailleurs du secteur public turcs licenciés sommairement à la suite d’un coup d’État manqué en juillet 2016, ont été arrêtés pour appartenance présumée à un groupe terroriste.
Quatre personnes qui ont fait une déclaration publique commémorant le massacre de Sivas ont été arrêtées par la police d’Ankara, qui a invoqué l’interdiction des rassemblements émise par le bureau du gouverneur.
Le gouverneur d’Ankara a publié une déclaration interdisant toutes les réunions, marches et assemblées pendant 15 jours au mois de juillet, citant un nombre croissant de cas dans la pandémie de Covid-19. L’interdiction est intervenue un jour avant le « Grand Rallye de Défense » organisé par les associations de barreaux.
La police est intervenue lors de rassemblements à Batman, Tunceli et Şırnak contre l’agression sexuelle contre une mineure par un officier militaire, détenant plusieurs personnes.
La police est intervenue contre plusieurs rassemblements en commémoration des 33 victimes d’un attentat suicide à Urfa en 2015.
Au cours du mois de juin, les manifestations pour motif de reprendre leur travail et pour protester contre les KHK (décrets-lois), ont été empêchées par la police à Ankara, Düzce et İzmir.
Le 800eme rassemblement des mères du samedi a été arrêté par la police à İstanbul.
Tout rassemblement a été interdit par les préfectures de Bitlis, Urfa, Siirt, Antep, Adıyaman, Tunceli, Muş, Adana, Sinop, Hatay et Hakkari pour des durées variées durant les mois de juin et d’aout.
Conflit kurde et répression de l’opposition
Fatma Elarslan, une jeune fille de 13 ans, retrouvée morte dans la province sud-est de Şırnak après avoir été portée disparue pendant 20 jours lors d’un couvre-feu local en février-mars 2020, a été enregistrée par les procureurs comme étant «tuée lors d’affrontements avec les forces de sécurité», sur la base de déclarations anonymes de témoins la dénonçant comme «membre d’une organisation terroriste».
La police a arrêté 9 politiciens kurdes dans la ville de Batman, dans le sud-est du pays, dont l’ancien co-maire de la ville, Ömer Kulplu, qui a été démis de ses fonctions par le ministère de l’Intérieur et remplacé par un administrateur nommé par le gouvernement. Les neuf personnes ont été libérées le même jour.
Les politiciens kurdes Bekir Karageçit, Hıdır Oktay et İhsak Gündüz ont été arrêtés lors de perquisitions à domicile à Şanlıurfa.
La police a arrêté Betül Yaşar, le co-maire de la municipalité de Diyadin dans la province orientale d’Ağrı, ainsi que 3 autres. Un administrateur nommé par le gouvernement a remplacé Yaşar.
La police a arrêté 33 personnes à Gaziantep et un certain nombre d’autres à Diyarbakır, y compris des politiciens kurdes locaux et des journalistes locaux travaillant pour des organes d’information pro-kurdes.
Durant un raid de la police à Diyarbakır, 19 personnes ont été arrêtées parmi eux le co-directeur de la Fédération des associations d’aide aux familles des détenus et des condamnés (TUHAD-FED) Elif Haran.
Il y a eu plusieurs raids de la police et des arrestations de groupes kurdes à Diyarbakır, Adana, Ağrı, Urfa et Batman.
La police de Şırnak a arrêté 14 personnes, dont des dirigeants du HDP.
İbrahim Baykara, un civil de 46 ans, aurait été tué par les forces de sécurité dans la province orientale de Van.
La police a arrêté 16 personnes à Adana, dont des membres du HDP. Les détenus n’ont pas pu contacter leurs avocats pendant 24 heures.
La police a arrêté deux coprésidents du Parti démocratique du peuple (HDP) dans les provinces d’Aydın et Muş.
Osman Özçalımlı, un jeune homme d’origine kurde effectuant la service militaire à İzmir a été retrouvé mort. Avant sa mort il avait dit à ses parents qu’il a été menacé par les autres militaires en accusant comme traitre.
Les avocats d’Abdullah Öcalan, le leader emprisonné du PKK ont déposé une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) après que la Cour constitutionnelle turque a refusé de lever l’interdiction de contact avec leur client.
Un rapport a affirmé que deux des trois principaux opérateurs de téléphonie mobile de Turquie, Türk Telekom et Vodafone, n’offrent de services dans aucun dialecte kurde malgré des millions de clients parlant le kurde.
Le Conseil turc de l’enseignement supérieur (YÖK) a interdit aux étudiants qui étudient la langue et la littérature kurdes dans les universités turques de rédiger leur mémoire en kurde.
Le Parlement turc a adopté un projet de loi controversé modifiant la loi sur les avocats et modifiant le mécanisme d’élection des barreaux. Le projet de loi a suscité des protestations de la part des avocats de tout le pays et des groupes de droite comme Human Rights Watch et la Commission internationale des juristes (CIJ) ont averti que l’amendement minerait le rôle des barreaux en tant que chiens de garde des droits de l’homme.
Un responsable du barreau a été détenu alors qu’il dînait avec sa famille après avoir refusé de présenter sa pièce d’identité aux policiers qui l’ont approché dans un restaurant.
L’abus d’accusation de terrorisme
Dans le cadre des enquêtes policières contre le groupe güleniste, centaines de personnes ont fait l’objet d’arrestations et de gardes à vue pour appartenance à une organisation terroriste. Principalement dans les villes d’İstanbul, Konya, Ankara, Izmir, Gaziantep et Adana, , près de 1 000 personnes, composées d’hommes et de femmes parmi lesquelles des policiers, militaires et enseignants révoqués de la fonction publique ainsi que des militaires actifs, ont été placées en garde à vue ou en détention.
Le Conseil des juges et des procureurs de Turquie (HSK) a suspendu 26 juges et procureurs pour des liens présumés avec le mouvement de Gülen. Le HSK avait radié quelque 4 500 juges et procureurs à la suite du coup d’État manqué en juillet 2016.
Le maire élu d’Urla, districte d’Izmir (du Parti CHP) a été condamné à 6 ans et 3 mois de prison pour avoir été membre du mouvement Gülen.
Melek Çetinkaya, mère d’un ancien cadet militaire condamnée à la perpétuité pour des accusations liées au coup d’État, a été arrêtée pour ses propos dans une émission de télévision affirmant que son fils était innocent. Çetinkaya a été accusée de « diffusion de propagande terroriste ».
Ministre de l’intérieur Süleyman Soylu a déclaré que 282.790 personnes ont été mises en garde à vue et 94 975 ont été détenu dans le cadre des opérations contre le mouvement Gülen depuis 15 juillet 2016.
Le journaliste Mevlüt Öztaş, qui a reçu un diagnostic de cancer du pancréas en prison et qui n’a été libéré qu’au stade final de la maladie, est décédé deux mois après sa libération.
Le réalisateur de télévision Fatih Terzioğlu, qui a reçu un diagnostic de cancer de l’estomac pendant ses 21 mois d’incarcération, est décédé après sa sortie de prison à la mi-juillet.
La fille de l’ancien juge Hüsamettin Uğur, emprisonné depuis le coup d’État manqué en juillet 2016 a révélé sur les réseaux sociaux que son père avait été torturé et maltraité par des gardiens de prison à Kırıkkale Keskin.
Un porte-parole du département d’État américain et le rapporteur du Parlement européen sur la Turquie ont appelé à la libération d’Osman Kavala, le défenseur des droits de l’homme qui a marqué son 1000eme jour de prison.
La police turque a détenu 6 membres du groupe de musique de gauche Grup Yorum alors qu’ils répétaient pour un concert à Istanbul.
Liberté de la Presse et d’expression
La Haute Autorité de Radio et de Télévision (RTÜK) a imposé des interdictions de diffusion de cinq jours à deux chaînes de télévision critiques pour le gouvernement. Les deux points de vente risquent de perdre entièrement leurs licences de diffusion s’ils sont à nouveau pénalisés à l’avenir.
Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a demandé au parlement de rédiger un projet de loi visant à contrôler ou à fermer les plateformes de médias sociaux et les services de streaming tels que YouTube, Twitter et Netflix.
Le parlement turc a adopté la nouvelle loi sur les réseaux sociaux permettant aux autorités de vastes pouvoirs de censure sur des plateformes telles que Twitter, Facebook et YouTube.
La journaliste Sibel Hürtaş a révélé dans une chronique qu’elle avait été exposée à la torture lors de sa brève détention par la police.
Un tribunal d’Istanbul a condamné le journaliste turco-allemand Deniz Yücel à 2 ans, 9 mois et 22 jours de prison pour «diffusion de propagande terroriste». Yücel était rentré en Allemagne lorsqu’il a été libéré en février 2018 après un an de détention provisoire.
Un tribunal turc a condamné le journaliste Mehmet Baransu à 19 ans et 6 mois de prison pour espionnage et liens avec le terrorisme.
L’Autorité des technologies de l’information et de la communication (BTK) a bloqué l’accès à Jin News, un média pro-kurde.
L’Autorité des technologies de l’information et de la communication (BTK) a bloqué l’accès au site Web d’Özgürüz Radyo dirigé par le journaliste en exil Can Dündar.
L’organisme de surveillance des médias turc RTÜK a infligé une amende à cinq radiodiffuseurs pour un certain nombre de raisons, notamment « pour décrire les relations homosexuelles comme normales ».
Les médias ont affirmé que les procureurs d’Istanbul ont rédigé un acte d’accusation contre le journaliste Can Ataklı dans lequel ils ont demandé jusqu’à 4 ans et 8 mois de prison pour avoir prétendument insulté le président.
L’organisme de surveillance des médias RTÜK a infligé une amende à la chaîne de télévision TELE 1 pour avoir prétendument fait l’éloge du terrorisme, pour une publicité pour le journal de gauche Evrensel représentant une fille tenant un foulard de couleur rouge, jaune et vert.
Le législateur de l’opposition et militant des droits humains Sezgin Tanrıkulu a rédigé un rapport selon lequel au moins 721 journalistes ont été arrêtés en Turquie entre 2002 et 2019, dont 93 sont toujours en prison.
Les autorités turques ont envoyé des ordres d’expulsion à deux ouvriers chrétiens américains, selon un média chrétien qui a déclaré qu’au moins 16 ouvriers chrétiens étrangers avaient été expulsés de Turquie cette année.
Réfugiés et minorités
L’ancien Premier ministre Ahmet Davutoğlu a corroboré les allégations de la semaine dernière selon lesquelles la Turquie renvoyait des Ouïghours en Chine, où ils risquaient de faire face à des persécutions politiques.
Les procureurs de Hatay ont ouvert une enquête sur les allégations selon lesquelles six enfants migrants syriens auraient été battus lors d’une attaque raciste par un groupe de sept à huit citoyens turcs non identifiés. Les enfants ont été traités dans un hôpital et deux d’entre eux étaient dans un état critique, selon les rapports.
La Grèce aurait repoussé 17 demandeurs d’asile politiques turcs dans la mer Égée, les laissant à la dérive dans les eaux territoriales de la Turquie. Les migrants ont ensuite été détenus par les autorités turques.
Six réfugiés syriens ont été victimes d’une agression armée raciste à Istanbul et l’un d’eux, Abdulkadir Davud, 21 ans, a perdu la vie après avoir été abattu.
Human Rights Watch a appelé la Grèce à enquêter sur les refoulements aux frontières terrestres et maritimes turco-grecques avec des migrants renvoyés de force en Turquie.
Un rapport du British Telegraph a affirmé que la Turquie aidait la Chine à rapatrier des dissidents ouïghours via des pays tiers.
Selon certaines informations, 20 migrants ont été soumis à la torture et à des mauvais traitements pendant trois jours dans un poste de police près de la frontière turco-iranienne.
Le bilan d’un bateau de migrants coulé dans le lac de Van, dans l’est de la Turquie, a atteint 60 morts alors que les équipes de secours continuaient à récupérer les corps. Le bateau a été porté disparu le 27 juin.
Féminicides et droits des femmes
Au cours du mois de juillet et d’aout, 63 femmes ont été tuées et 34 femmes sont mortes de manière suspecte.
La police d’Izmir a arrêté 21 personnes qui protestaient en faveur de la Convention d’Istanbul sur la violence à l’égard des femmes, dont les responsables du gouvernement turc ont laissé entendre le retrait potentiel de la Turquie.
La police a détenu 33 femmes qui protestaient contre le projet du gouvernement de retirer la Turquie de la Convention d’Istanbul, le traité du Conseil de l’Europe visant à protéger les femmes contre la violence domestique.
Reuters a cité des responsables turcs anonymes qui ont déclaré que l’AKP au pouvoir envisageait de retirer la Turquie de la Convention d’Istanbul, le traité international sur la violence à l’égard des femmes. Un rapport mensuel de Bianet a déclaré que des hommes avaient infligé des violences à au moins 80 femmes en juillet.
Une femme de 18 ans qui a été violée à plusieurs reprises par un sergent dans le sud-est de la Turquie est décédée dans un hôpital après avoir tenté de se suicider. L’officier militaire a été arrêté le lendemain. Il a été libéré 7 jours après.