BULLETIN D’INFORMATION MENSUEL SUR LES DROITS DE L’HOMME EN TURQUIE
Voici le lien vers la version PDF
Le président de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), Robert Ragnar Spanó, a effectué une visite de quatre jours en Turquie au mois de septembre. Il a reçu un doctorat honorifique de l’université d’Istanbul qui avait purgé près de 200 universitaires pendant l’état d’urgence de deux ans en Turquie, au lendemain de la tentative du coup d’État de juillet 2016. Cela a suscité l’indignation de l’opposition et des groupes de défense des droits, exclus du programme de la visite du M. Spanó. L’éminent écrivain et universitaire turc Mehmet Altan a même adressé une lettre ouverte à ce dernier, soulignant la purge des universitaires turcs.
Le journal Le Monde a publié un article intitulé « Le juge européen Robert Spanó à Istanbul, entre flagornerie et esquive » critiquant sévèrement Robert Spanó, le chef de la CEDH, à propos de sa visite en Turquie, en précisant le fait que M. Spanó n’a rencontré que des représentants du gouvernement et du parti au pouvoir, en excluant les milieux de l’opposition, des minorités et des défenseurs des droits de l’homme. L’éminente défenseuse des droits de l’homme, Şebnem Korur Fincancı, a déclaré dans une interview par podcast que Spanó devrait démissionner pour sa visite unilatérale en Turquie, qui, selon elle, ressemble à un « spectacle de marionnettes pro-gouvernemental ».
Un arrêt de la CEDH a déclaré que la Turquie a violé le droit à la liberté et à la sécurité ainsi que la liberté d’expression de l’écrivain Ragıp Zarakolu, résident en Suède. En 2019, la Haute Cour de Suède avait rejeté la demande d’extradition de Zarakolu par la Turquie.
Tortures, violences policières et emprisonnements
Un rapport mensuel sur les droits de l’homme publié par le député d’opposition et défenseur des droits de l’homme Sezgin Tanrıkulu indique qu’au moins 143 personnes, dont cinq enfants, ont été soumises à la torture durant le mois d’août 2020.
18 personnes détenues alors qu’elles tentaient de tenir un point de presse à l’occasion de la Journée de la paix des Nations unies ont été soumises à la torture et aux mauvais traitements au département de police de Sancaktepe (Istanbul).
L’une des 23 étudiantes universitaires détenues pour de prétendus liens avec le mouvement Gülen a révélé qu’elles avaient été soumises à des fouilles à nu abusives et répétitives lors de leur détention. Les étudiantes se sont également vu refuser le droit de contacter leur famille ou leur avocat pendant leur détention.
Trois personnes, Hamdullah Esen, Tayip Temel et Mehmet Sait Yardımcı, ont été détenues lors de descentes de policiers dans des maisons à Urfa pour appartenance présumée à des groupes terroristes. Elles ont été soumises à la torture et à de mauvais traitements lors de leur détention au département de police d’Urfa. Les victimes auraient eu des taches de sang et des ecchymoses sur le corps lors de leur rencontre avec leur avocat.
Au mois de septembre plusieurs plaintes concernant des victimes de mauvais traitements ont été reçues des centres pénitentiaires de Bayburt (type M) İstanbul Silivri (type L n°3-5), Şırnak (type T), Düzce, Adana Kürkçüler (type F), Diyarbakır (femmes), Tarsus (type T), Ağrı Patnos (type L), Kayseri Bünyan n°1, Edirne (type F), Mardin (type E), Urfa Hilvan (type T), Tarsus (femmes), Kırşehir (type E), Diyarbakır (type D), Maltepe (type L), Gebze (femmes), Kandıra (type F), Tekirdağ (type F), Bolu (type F), Bakırköy (femmes), Van (type F), Manisa Akhisar (type T), Eskişehir (type H), Afyon, Kırşehir (type E), Kayseri Bünyan (type T), Konya Ereğli (type T), Hatay (type T).
Un prisonnier de Gümüşhane nommé Mustafa Kabakçıoğlu a été mis dans une cellule de prison après avoir présenté des symptômes de Covid-19. Le lendemain, il a été retrouvé mort dans sa cellule.
Ali Boçnak, un détenu malade de 76 ans, a perdu la vie derrière les barreaux après le refus de libération de la part des procureurs. Boçnak purgeait une peine de prison pour son appartenance présumée à l’Union des communautés du Kurdistan (KCK).
İlhan İşbilen, un ancien politicien de 74 ans, emprisonné en raison de liens présumés avec le mouvement Gülen, a été hospitalisé après avoir contracté le virus Covid-19 derrière les barreaux.
LE POUVOIR JUDICIAIRE
Plus de 50 avocats ont été arrêtés en vertu de mandats délivrés par les procureurs d’Ankara qui, dans une déclaration écrite, les accusaient de suivre les affaires des accusés affiliés au mouvement Gülen et de « tenter de manipuler les procès sous le couvert de la pratique du droit ».
La détention massive de 60 avocats le 11 septembre a continué à susciter des réactions. Le Barreau d’Istanbul a dénoncé ces détentions. La Commission internationale des juristes (CIJ), basée à Genève, a demandé la libération des avocats. Human Rights Watch (HRW) a déclaré que ces détentions portaient atteinte au droit à la défense. L’Association turque des droits de l’homme (İHD) a déclaré qu’il était inacceptable de criminaliser les avocats qui représentent leurs clients. La branche norvégienne de PEN International, Norsk PEN, a déclaré que les détentions confirment que le gouvernement mène « une guerre totale contre la profession de défenseur juridique ». Soixante juristes turcs ont publié une lettre commune décrivant les détentions comme une campagne visant à intimider et à dissuader les professionnels du droit. Le Conseil des Barreaux d’Europe, le Barreau allemand et la Law Society of England and Wales ont publié une lettre ouverte au Président turc Recep Tayyip Erdoğan, demandant la libération des détenus.
La Cour suprême d’appel a confirmé les peines de prison de 14 avocats de l’Association des avocats progressistes (ÇHD), qui avaient été reconnus coupables de charges liées au terrorisme.
Les procureurs ont ouvert une enquête contre Istanbul Bar Association pour avoir accroché une banderole commémorant l’avocat Ebru Timtik qui est morte après une grève de la faim de huit mois derrière les barreaux pour avoir demandé un procès équitable.
Devlet Bahçeli, le leader du MHP nationaliste et allié de l’AKP au pouvoir, a publié une déclaration appelant au rétablissement de la peine de mort, que la Turquie avait abolie en 2004 dans le cadre de sa candidature à l’adhésion à l’UE. Le président du parlement, Mustafa Şentop, a approuvé la proposition de Bahçeli.
Devlet Bahçeli, a proposé de réorganiser la Cour constitutionnel selon le nouveau système présidentiel.
Le ministre de l’intérieur, Süleyman Soylu, a critiqué, une fois de plus, la Cour constitutionnelle, l’accusant d’agir comme une branche de la CEDH. Il a verbalement pris pour cible le président de la Cour constitutionnelle après que la Cour ait décidé d’annuler une loi interdisant les manifestations et les marches de protestation sur les routes interurbaines, en prononçant ces phrases : « Alors, vous n’avez pas besoin de la protection de la police. Allez au travail à vélo ».
DROIT DE MANIFESTATION
Tout rassemblement a été interdit par les préfectures d’Ankara (7 jours), İzmir (1 jour), Diyarbakır (1 jour), Van (1 jour), Tunceli (15 jours), Kars (15 jours), Siirt (15 jours), Batman (15 jours), Urfa (30 jours) pour des durées variées durant le mois de septembre.
A l’occasion de la journée mondiale de la Paix, les manifestations ont été interdites dans plusieurs villes.
Les militants Cemal Yıldırım, Muhammet Semih Karaoğlu et Resul Kalyoncu ont été arrêtés par la police alors qu’ils tentaient de faire une déclaration de presse pour protester contre la purge à grande échelle des travailleurs du secteur public à la suite de la tentative de coup d’État en juillet 2016.
Les forces de gendarmerie ont violemment dispersé une manifestation dans le district d’Artuklu à Mardin contre une entreprise locale de distribution d’électricité, détenant près de 20 personnes.
La police a bloqué une réunion organisée par le parti HDP dans la province de Batman pour soutenir la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dont le gouvernement a laissé entendre que la Turquie pourrait se retirer. La police a détenu six militants.
LIBERTE DE LA PRESSE ET D’EXPRESSION
Les reporters Murat Başal et Emrah Kızıl ont été victimes d’une attaque au couteau par un groupe de personnes alors qu’ils suivaient l’actualité locale sur Diyarbakır. Les suspects impliqués dans l’attaque ont ensuite été relâchés, ce qui a suscité des critiques de la part des associations de journalistes.
RTÜK a infligé des amendes aux chaînes de télévision Haber Global, Meltem TV, TELE 1 et Fox TV pour avoir critiqué le gouvernement. Haber Global a également reçu une suspension de diffusion pour les remarques d’un invité contre les lycées religieux (imam hatip).
La Cour constitutionnelle a statué sur le fait que les droits du député Enis Berberoğlu ont été violés après avoir été condamné à 5 ans et 10 mois pour ses reportages en tant que journaliste concernant les camions du service de renseignements turc chargés d’armes se dirigeant vers la frontière syrienne.
Un tribunal d’Istanbul supervisant le procès du journaliste en exil Can Dündar l’a déclaré « fugitif », décidant de lui confisquer tous ses biens au cas où il ne se présenterait pas sous 15 jours devant le tribunal.
Le journaliste turc Abdullah Bozkurt, résident en Suède, a été attaqué par trois hommes près de son domicile à Stockholm.
Devlet Bahçeli, le leader du MHP et un allié de l’AKP au pouvoir, a ciblé dans une série de tweets l’Association médicale turque (TTB) qui avait critiqué le gouvernement concernant la gestion de la pandémie de Covid-19. Bahçeli a appelé à la fermeture de la TTB ainsi qu’à des poursuites judiciaires contre ses dirigeants.
Les données du ministère de la Justice indiquent que 12 298 personnes ont été jugées en 2019 pour avoir prétendument insulté le président et 3 831 des accusés ont été condamnés.
L’ABUS D’ACCUSATION DE TERRORISME
Dans le cadre des enquêtes policières contre le groupe güleniste, un millier de personnes ont fait l’objet d’arrestations et de gardes à vue pour appartenance à une organisation terroriste. Principalement dans les villes d’Urfa (14 personnes), Ankara (132 personnes), İstanbul (641 personnes), Tokat (23 personnes), Kocaeli (11 personnes), Van (17 personnes), İzmir (138 personnes), Adana (22 personnes), Afyon (6 personnes), Balıkesir (30 personnes), Adana (22 personnes), Uşak (26 personnes), Kayseri (14 personnes), près de 1 000 personnes, parmi lesquelles des policiers, militaires et enseignants révoqués de la fonction publique, ont été placées en garde à vue ou en détention.
Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a exhorté la Turquie à se conformer à une ordonnance de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) visant à libérer l’homme d’affaires et dirigeant de la société civile Osman Kavala, emprisonné depuis octobre 2017.
CONFLIT KURDE ET REPRESSION DE L’OPPOSITION
Les procureurs d’Ankara ont ordonné la détention de 82 éminents politiciens pro-kurdes en raison de leur rôle présumé dans la vague de protestations dans les villes à majorité kurde en 2014.
Il y a eu plusieurs raids de la police et des arrestations de groupes kurdes à Mardin/Midyat (7 personnes), Diyarbakır/Bağlar (5 personnes), Bitlis (10 personnes), Muş/Bulanık (9 personnes), Urfa/Viranşehir (7 personnes), Diyarbakır (7 personnes), Şırnak/Cizre (3 personnes), Batman/Kozluk, Mardin/Nusaybin.
Selon des témoins oculaires, les soldats turcs ont torturé deux villageois kurdes qu’ils avaient détenus, les jetant d’un hélicoptère après les avoir battus. Un rapport médical a indiqué que l’un des villageois avait subi des blessures correspondant à une chute de hauteur. L’une des victimes est décédée à l’hôpital des suites du traumatisme de la chute.
Membre du Conseil d’Administration du parti HDP, Serhat Aktumur a été enlevé à Diyarbakır par trois personnes s’identifiant comme étant des agents du renseignement turc, et lui ont proposé de travailler pour le service du renseignement.
Membre de l’Assemblée des jeunes du parti HDP, Lider Polat a été enlevé à Istanbul/Kartal par des personnes s’identifiant comme étant des policiers, et lui ont proposé de travailler pour le service du renseignement.
Burhanettin Şahin, ancien maire élu du district Karayazı à Erzurum, destitué par le ministère de l’Intérieur et remplacé par un administrateur nommé par le gouvernement, a été arrêté. Şahin a été arrêté plus tard le 3 septembre. Il est l’un des nombreux maires pro-kurdes du HDP évincés de leurs fonctions par le ministère de l’Intérieur depuis les élections locales de l’année dernière.
L’administrateur nommé par Ankara pour remplacer le maire kurde de la ville de Van, dans l’est du pays, a remplacé les enseignes locales de noms de lieux en kurde par des enseignes en langue turque.
Le chanteur Hozan Cesim (Cesim Başboğa) a affirmé avoir été convoqué à un poste de commandement de la gendarmerie à Bitlis où il a été menacé par des individus qui se sont présentés comme des agents du renseignement, de ne pas chanter de chansons en kurde et de ne pas assister aux réunions organisées par le HDP pro-kurde.
Seize travailleurs agricoles saisonniers kurdes ont été agressés par un propriétaire de ferme et un groupe de villageois dans la province de Sakarya, au nord-ouest du pays, cela semblerait être une attaque raciste.
Une attaque armée visant les travailleurs kurdes à Afyon a coûté la vie à Özkan T. et deux autres personnes ont été blessées.
REFUGIES
Les forces armées grecques auraient repoussé en Turquie dix demandeurs d’asile turcs qui avaient traversé l’Evros en canot pneumatique. Ils ont ensuite été immédiatement détenus par la gendarmerie turque.
Ümit Şakır, un demandeur d’asile turc, a été porté disparu depuis le 3 septembre. Şakır aurait été abandonné dans la rivière d’Evros par les gardes-frontières grecs.
Un demandeur d’asile turc fuyant le gouvernement turc, a allégué que lui et un groupe de migrants avaient été soumis à la torture par les forces de sécurité grecques à Neo Cheimonio après leur arrivée en Grèce, avant d’être refoulés vers la Turquie par la rivière Evros.
Un enfant réfugié syrien de 16 ans aurait été poignardé à mort lors d’un combat entre deux groupes à Samsun.
7 demandeurs d’asiles syriens ont subi des tortures et des mauvais traitements par les officiers de gendarmerie à Mardin.
L’Association des droits de l’homme basée en Turquie (İHD) a publié un rapport spécial sur les crimes haineux et les attaques racistes en Turquie, détaillant 280 attaques racistes ayant eu lieu au cours des 10 dernières années, ciblant particulièrement les Kurdes et les réfugiés syriens.
DROITS DES FEMMES
Au cours du mois de septembre, 42 femmes ont été tuées et 11 femmes sont mortes de manière suspecte.
La famille d’une victime de viol de 12 ans aurait reçu des menaces après avoir dénoncé le chef d’une secte religieuse pour agression sexuelle sur leur fille.