AVRIL 2025 – ACTUALITÉ DES DROITS HUMAINS EN TURQUIE
RAPPORT MENSUEL – AVRIL
VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS EN TURQUIE
PRIVATION ARBITRAIRE DE LA VIE ET DISPARITIONS FORCÉES
Aucune nouvelle n’a été reçue concernant Yusuf Bilge Tunç, ancien fonctionnaire licencié par décret, disparu depuis 2019. Son cas s’inscrit dans une série de disparitions forcées présumées visant des personnes critiques envers le gouvernement.
Un détenu âgé, atteint de BPCO, est décédé en prison à İzmir après avoir été privé d’assistance médicale urgente malgré l’aggravation de son état. Sa famille a déposé plainte pour négligence.
Dans un autre cas, un militaire a abattu un jeune homme dans la rue pour un motif futile. Il a été incarcéré, et l’incident, filmé, a provoqué une large indignation.
TORTURE ET MAUVAIS TRAITEMENTS
Le Comité pour la prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe a mené une visite exceptionnelle en Turquie pour enquêter sur les allégations d’abus policiers et de détention arbitraire liées aux récentes manifestations.
De nombreux cas préoccupants ont été recensés au cours du mois.
Une étudiante souffrant d’une maladie chronique a été privée de ses médicaments après avoir été arrêtée pour une pancarte jugée insultante.
Une détenue atteinte d’un cancer avancé n’a pas été transférée à l’Institut de médecine légale pour l’évaluation de sa libération, malgré une recommandation médicale officielle.
Un prisonnier gravement malade, victime d’une crise cardiaque, a été renvoyé en cellule sans soins adéquats.
Sept femmes arrêtées pour avoir manifesté à Ankara ont signalé des fouilles à nu et des traitements dégradants, ce qui a donné lieu à des plaintes officielles.
Mahir Polat, haut fonctionnaire de la municipalité d’Istanbul, souffrant de graves pathologies, a été hospitalisé puis renvoyé en détention malgré une intervention médicale lourde.
Le député Ömer Faruk Gergerlioğlu a demandé la libération urgente de Ramazan Aktaş, un détenu atteint d’un cancer du pancréas en phase terminale, dénonçant l’inaction de l’administration pénitentiaire.
À Şanlıurfa, un avocat a été frappé à la tête par un policier alors qu’il tentait d’accéder à son client détenu, provoquant une blessure grave nécessitant une hospitalisation.
Un détenu souffrant de maladies chroniques s’est vu refuser l’accès aux soins après une crise cardiaque, les autorités ayant mal évalué son état et l’ayant renvoyé en cellule.
Sept femmes arrêtées pour avoir manifesté contre la détention du maire İmamoğlu ont été soumises à des fouilles à nu et à d’autres mauvais traitements, ce qui a donné lieu à des plaintes officielles déposées par le barreau d’Ankara.
Un ancien enseignant a été torturé lors de sa garde à vue en 2016, selon les témoignages et un procès en cours visant plusieurs policiers et un médecin.
Des prisonniers âgés ou malades, notamment un patient atteint d’Alzheimer, sont maintenus en détention malgré leur état de santé, illustrant un mépris persistant pour les normes humanitaires.
CONDITIONS CARCÉRALES
Les conditions dans les prisons de type Y, destinées aux détenus politiques ou accusés de terrorisme, ont été dénoncées pour leur caractère inhumain : isolement extrême, surveillance constante, manque de lumière naturelle, surpopulation. Certains détenus poursuivent une grève de la faim depuis près de 200 jours.
Le nombre de décès dans les prisons turques a été dénoncé par des parlementaires, qui accusent l’inaction des autorités et l’usage abusif de rapports médicaux biaisés pour empêcher la libération des détenus gravement malades.
Selon un rapport d’une ONG nationale, plus de 1 400 prisonniers, dont plusieurs centaines dans un état de santé critique, sont incarcérés dans des conditions aggravant leur situation, en l’absence de données transparentes de la part des autorités. L’inaction officielle soulève des inquiétudes quant au respect du droit à la santé et à la vie.
RÉPRESSION DES PRÉSUMÉS MEMBRES DU MOUVEMENT GÜLEN
Les procureurs ont ordonné la détention d’au moins 471 personnes pour des liens présumés avec le mouvement Gülen, malgré les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme rejetant les principales preuves utilisées. Ces arrestations massives, combinées à une opération policière préventive à l’approche de la Journée internationale des travailleurs, confirment l’usage persistant de la détention comme outil de répression politique. Une vague d’arrestations a également visé 92 personnes soupçonnées d’appartenir à des groupes de gauche interdits.
Dans plusieurs provinces, des perquisitions ont été menées et les autorités ont invoqué comme preuve des communications téléphoniques, un soutien financier à des familles persécutées et l’utilisation passée de l’application ByLock, en dépit de l’arrêt Yalçınkaya de la Cour européenne des droits de l’homme.
En octobre 2020, un avis du Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire (GTDA) a déclaré que l’emprisonnement généralisé ou systématique de personnes ayant des liens présumés avec le groupe pouvait constituer un crime contre l’humanité.
REPRESSION À L’EGARD DES KURDES
Un rapport de la plateforme Kurdish Monitoring a recensé 24 cas d’entrave à l’utilisation de la langue kurde dans la vie publique au cours du premier trimestre. Les restrictions observées concernent l’usage du kurde dans les institutions, les médias, les arts et le système carcéral.
Le journaliste Hayri Demir a été condamné à près de trois ans de prison pour des publications et reportages sur les zones kurdes de Syrie. Le verdict repose sur des preuves tirées de son matériel professionnel, à l’issue d’un procès ayant duré près de huit ans.
Des journalistes et responsables politiques kurdes ont été arrêtés ou interrogés pour « propagande terroriste » ou « incitation à la haine », parfois sans mandat. Ces actions illustrent une surveillance constante des voix issues de la minorité kurde, notamment dans les provinces orientales.
Un ancien dirigeant régional du parti pro-kurde DEM a été condamné à une peine de prison pour des accusations de propagande et d’aide à une organisation terroriste. Cette condamnation s’inscrit dans une dynamique répressive persistante à l’égard des représentants politiques kurdes.
REPRESSION TRANSFRONTALIÈRE
Un enseignant kirghize a disparu après son arrestation à l’aéroport d’Istanbul, faisant craindre une nouvelle affaire de disparition forcée dans le cadre de la répression transnationale visant des personnes soupçonnées d’appartenir au mouvement Gülen.
RÉFUGIÉS ET MIGRANTS
Amnesty International a lancé une campagne urgente pour éviter l’extradition d’un réfugié syrien gravement malade vers l’Arabie saoudite, en dénonçant le risque de torture et de procès inéquitable.
Des ONG internationales ont dénoncé le risque d’expulsion vers des pays à haut risque, comme le Turkménistan, de militants arrêtés en Turquie. Ces expulsions potentielles, en violation des engagements internationaux du pays, exposent les personnes concernées à des risques graves de torture et de détention arbitraire.
Neuf migrants ont perdu la vie lors du naufrage d’un bateau au large des côtes ouest de la Turquie. Vingt-cinq ont été secourus, tandis qu’une personne reste portée disparue.
Un rapport a documenté de graves abus commis contre des réfugiés syriens dans les centres de détention turcs : violences physiques, refus de soins, rapatriements forcés, et au moins cinq décès liés à des traitements inhumains, malgré le financement de certaines installations par l’Union européenne.
DROITS DES FEMMES
Au moins 29 femmes ont été assassinées par des hommes tandis que 14 sont mortes dans des circonstances suspectes, selon les rapports mensuels publiés par BIANET.
Des dizaines de femmes ont été victimes de violences, harcèlement, exploitation ou maltraitance, ce qui souligne l’ampleur de la violence sexiste persistante en Turquie.
Une campagne du ministère de la Santé promouvant l’accouchement naturel a provoqué un tollé lorsqu’elle a été relayée par des footballeurs professionnels. Des associations féministes ont dénoncé une intrusion du pouvoir exécutif dans le droit des femmes à disposer librement de leur corps.
Une nouvelle réglementation interdit les césariennes non médicalement justifiées dans les hôpitaux privés, suscitant une vive polémique. Les organisations de défense des droits dénoncent une ingérence dans les choix reproductifs des femmes et une tentative de contrôle politique sur les corps féminins.
LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DES MÉDIAS
De multiples violations de la liberté d’expression ont été relevées :
Trois grands comptes d’information sur X ont été bloqués à la demande de la présidence.
Un acteur a été condamné pour une interview critique.
Un journaliste suédois reste emprisonné malgré une peine avec sursis.
Un célèbre compte d’archives politiques sur les réseaux sociaux a été bloqué pour des motifs sécuritaires.
La Turquie a chuté à la 159e place dans le classement mondial de la liberté de la presse de RSF, avec 37 journalistes incarcérés.
Une requête a été déposée devant la CEDH pour contester la détention arbitraire du journaliste Ali Ünal.
Une journaliste a écopé d’une peine avec sursis pour ses propos sur l’armée.
Un journaliste suédois arrêté récemment risque 12 ans de prison.
Des influenceurs et journalistes critiques continuent de subir des pressions judiciaires et des censures.
La plateforme Bluesky a restreint des dizaines de comptes, cédant à la pression des autorités turques.
Plusieurs journalistes ont été condamnés ou arrêtés : Bahadır Özgür (pour « insulte à l’État »), Furkan Karabay (pour avoir mentionné des allégations de fortune offshore d’Erdoğan), Rasim Ozan Kütahyalı (pour désinformation), et deux journalistes d’investigation brièvement détenus.
Le journaliste en exil Cevheri Güven, sous protection policière en Allemagne, a dénoncé un harcèlement numérique et diplomatique persistant.
L’universitaire Nuray Mert a déclaré qu’elle cessait toute prise de parole publique par peur d’emprisonnement.
Meta a été sanctionnée financièrement pour avoir refusé de bloquer des comptes liés aux manifestations après la détention du maire d’Istanbul, alors que X s’est conformé aux injonctions.
Plusieurs personnalités publiques ont été évincées de projets télévisés publics ou ont vu leurs comptes bloqués après leur soutien à un boycott en faveur du maire. Un acteur a été arrêté, provoquant la réaction de syndicats et d’artistes.
Un nouveau projet de règlement accorde à l’autorité des télécommunications (BTK) le pouvoir de bloquer unilatéralement des plateformes comme Facebook, X ou WhatsApp, si elles refusent d’ouvrir des filiales locales ou d’acquérir une licence.
Les parents de Berkin Elvan ont été condamnés avec sursis pour avoir critiqué publiquement le président, malgré un arrêt de la CEDH confirmant la responsabilité étatique.
Plusieurs artistes, journalistes et universitaires ont été arrêtés ou menacés de poursuites pour des publications ou positions critiques : Sevinç Eratalay, Nuray Mert, Timur Soykan, Murat Ağırel, Murat Germen.
Sept journalistes ayant couvert les manifestations liées à l’arrestation du maire d’Istanbul sont désormais visés par des réquisitions pénales.
De nombreux organes de presse dénoncent une stratégie d’intimidation visant à faire taire la dissidence dans un contexte d’agitation sociale accrue.
LIBERTÉ DE RÉUNION ET D’ASSOCIATION
La répression des manifestations en lien avec l’affaire İmamoğlu se poursuit :
Une manifestation solitaire d’un député du CHP a été interrompue par la police.
Le parquet a annoncé 20 actes d’accusation visant 819 personnes, dont 278 en détention provisoire, pour leur participation aux manifestations.
Un forum du parti TİP a été dispersé par la police, avec l’arrestation de 47 personnes, dont des mineurs.
Les étudiants ayant participé aux manifestations contre la détention du maire Ekrem İmamoğlu sont visés par des procédures disciplinaires et menacés d’expulsion de leurs dortoirs.
Par ailleurs, deux lycéens ont été arrêtés pour avoir lu une déclaration demandant la libération de leurs camarades, illustrant la répression croissante à l’encontre des jeunes manifestants.
Plusieurs personnes ont été arrêtées pour avoir protesté contre les politiques du gouvernement ou pour avoir participé à des rassemblements pacifiques. Un ouvrier a été emprisonné pour avoir critiqué la situation économique lors d’un événement public. D’autres ont été arrêtées pour des slogans ou pancartes jugés insultants envers le président.
Des interdictions administratives de rassemblements ont aussi été prononcées, et des manifestations étudiantes ont donné lieu à des arrestations massives, souvent accompagnées de mauvais traitements et de refus d’accès à un avocat.
Des centaines de manifestants, dont plusieurs avocats, ont été arrêtés alors qu’ils tentaient de rejoindre la place Taksim lors de la Journée internationale des travailleurs. Ces arrestations illustrent une fois de plus les restrictions systématiques imposées à la liberté de manifester pacifiquement, renforcées par un déploiement policier massif.
IMPUNITÉ ET INDEPENDANCE JUDICIAIRE
Le leader du Parti de la Victoire, Ümit Özdağ, est poursuivi pour « incitation à la haine », avec une demande de peine allant jusqu’à 7 ans et 10 mois de prison.
Le Conseil de l’Europe a adopté une résolution appelant à la libération immédiate d’Osman Kavala et dénonçant le non-respect par la Turquie des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme comme un risque systémique pour l’état de droit.
De nouvelles arrestations de responsables municipaux ont visé des figures du principal parti d’opposition :
À Beşiktaş, 12 fonctionnaires ont été arrêtés dans une affaire de marchés publics.
À Devrek, l’ancien maire et plusieurs employés municipaux ont été interpellés pour des faits de corruption.
Ces opérations s’inscrivent dans une vague plus large de répression contre les mairies du CHP après ses succès électoraux récents.
Des avocats ont été visés dans des enquêtes judiciaires liées à des affaires sensibles concernant l’opposition.
Des dizaines de personnes, dont des proches de figures de l’opposition, ont été arrêtées dans des opérations policières contre les municipalités dirigées par le CHP, renforçant les soupçons d’instrumentalisation du pouvoir judiciaire à des fins politiques.
Des experts de l’ONU et des ONG ont dénoncé l’usage abusif des lois antiterroristes turques, leur application rétroactive, ainsi que le refus persistant de l’État turc d’exécuter des arrêts définitifs de la Cour européenne des droits de l’homme, notamment dans les affaires Kavala, Demirtaş et Yalçınkaya.
DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS
L’avocat Selçuk Kozağaçlı, figure emblématique de la défense des prisonniers politiques, a été réincarcéré moins de 24h après sa libération, à la suite d’une objection du parquet. Cette décision a suscité une vive controverse dans les milieux juridiques.
LIBERTÉ DE CIRCULATION
Le pianiste allemand Davide Martello, connu pour son soutien à des causes démocratiques, a été arrêté alors qu’il tentait de se produire lors de manifestations pacifiques. Il a été contraint de quitter le territoire.