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Collectif DDH

FEVRIER 2025 – ACTUALITÉ DES DROITS HUMAINS EN TURQUIE

FEVRIER 2025
PRIVATION ARBITRAIRE DE LA VIE ET DISPARITIONS FORCÉES
Aucune nouvelle n’a été reçue concernant Yusuf Bilge Tunç, ancien fonctionnaire licencié par décret, disparu depuis 2019. Son cas s’inscrit dans une série de disparitions forcées présumées visant des personnes critiques envers le gouvernement.
TORTURE ET MAUVAIS TRAITEMENTS
Un détenu incarcéré à la prison de Tokat aurait été soumis à des fouilles buccales forcées et à des examens médicaux en étant menotté, ce qui constitue une atteinte grave à la dignité humaine.
Une ancienne détenue a témoigné de fouilles humiliantes subies lors de sa garde à vue, dont une fouille à nu imposée en présence d’hommes.
La libération conditionnelle d’une enseignante de 51 ans, Figen Çapkur, a été refusée malgré l’achèvement de sa peine, au motif d’un entretien jugé insatisfaisant.
Un détenu âgé de 72 ans, atteint de la maladie d’Alzheimer et de plusieurs pathologies graves, reste emprisonné malgré son état de santé préoccupant.

CONDITIONS CARCÉRALES
Un rapport de l’Association des droits de l’homme (İHD) a mis en lumière une grave détérioration des conditions de détention dans la région de Marmara : surpopulation, déni de soins médicaux, mauvais traitements, violations du droit à la communication. Le rapport alerte aussi sur la situation des enfants vivant en prison avec leurs mères.

RÉPRESSİON DES PRÉSUMÉS MEMBRES DU MOUVEMENT GÜLEN
Tout au long du mois de février, les procureurs ont ordonné l’arrestation d’au moins 141 personnes pour des liens présumés avec le mouvement Gülen.
Parmi elles figuraient d’anciens juges et procureurs. Les accusations reposaient sur l’utilisation de l’application ByLock, des contacts via des téléphones publics et des comptes à la Bank Asya.
En octobre 2020, un avis du Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire (GTDA) a déclaré que l’emprisonnement généralisé ou systématique de personnes ayant des liens présumés avec le groupe pouvait constituer un crime contre l’humanité.

REPRESSION À L’EGARD DES KURDES
La maire de Siirt, issue du parti pro-kurde DEM, a été démise de ses fonctions après une condamnation pour terrorisme, et remplacée par un administrateur nommé par le gouvernement. Cette mesure porte à huit le nombre de municipalités pro-kurdes reprises par l’État depuis les élections locales.
Plusieurs membres ou anciens responsables du parti pro-kurde DBP ont été arrêtés lors d’opérations menées dans la région de Mardin.
L’auteur et journaliste Ruhi Karadağ a été condamné avec sursis pour son livre traitant des échecs du processus de paix avec le PKK.
Trois journalistes kurdes ont vu leurs comptes X bloqués sur décision gouvernementale.
Le ministère de la Culture a interdit un film du réalisateur Kazım Öz, critique à l’égard des politiques kurdes, en invoquant une législation sur la classification cinématographique.
Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a annoncé un cessez-le-feu conditionnel à une amélioration des conditions de détention de son leader Abdullah Öcalan.
REPRESSION TRANSFRONTALIÈRE
Human Rights Watch a dénoncé une attaque de drone menée par un groupe armé soutenu par la Turquie contre une ambulance du Croissant-Rouge kurde en Syrie, qualifiant l’acte de crime de guerre apparent.
La Turquie a intensifié ses actions de répression à l’étranger : enlèvements de ressortissants protégés par l’ONU, confiscation d’écoles liées au mouvement Gülen dans divers pays, surveillance de dissidents en Europe et en Amérique du Nord, pressions diplomatiques et expulsions forcées.
Des frappes aériennes turques en Syrie ont fait douze victimes, dont des civils et des travailleurs, dans des zones tenues par les Forces démocratiques syriennes. Ce nouvel épisode de la répression militaire transfrontalière soulève des inquiétudes quant au respect du droit international humanitaire.
DROITS DES FEMMES
Au moins 16 femmes ont été assassinées par des hommes tandis que 21 sont mortes dans des circonstances suspectes, selon les rapports mensuels publiés par BIANET.
La Cour de cassation a annulé une peine de réclusion à perpétuité aggravée infligée à l’auteur du féminicide de Pınar Gültekin, estimant que l’accusé ne méritait pas la qualification de crime avec « sentiment monstrueux » et pouvait bénéficier de circonstances atténuantes.
Selon la plateforme « Nous mettrons fin aux féminicides », au moins 33 femmes ont été tuées et 32 autres sont mortes dans des circonstances suspectes au cours du mois, la majorité des auteurs étant des conjoints, anciens partenaires ou proches familiaux.
MINORITÉS ET GROUPES DÉFAVORISÉS
Les autorités ont refusé de restituer un bien à la Fondation arménienne de Vakıflıköy, malgré une décision favorable de la Cour constitutionnelle, incitant la fondation à porter plainte.
Un lieu de culte alévi, le Cemevi d’Adıyaman, a été attaqué avec des gaz poivrés alors que des fidèles s’y trouvaient, illustrant une hostilité persistante envers les minorités religieuses.
Un projet de loi proposé par le ministère turc de la Justice prévoit de restreindre l’accès aux procédures de transition de genre et de criminaliser certaines formes d’expression LGBTQ+. Il introduirait un âge minimum de 21 ans pour toute transition et prévoirait des sanctions pénales pour des comportements considérés comme « contraires au sexe biologique ».

LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DES MÉDIAS
La Turquie figure désormais parmi les dix pays ayant subi le plus fort recul des libertés sur la dernière décennie, selon le rapport « Freedom in the World 2025 ».
Le journaliste Nevşin Mengü a été condamné avec sursis pour « propagande terroriste » après une interview diffusée sur YouTube.
L’ancien PDG de Zorlu Holding, Cem Köksal, s’est vu interdire de quitter le pays à la suite d’un e-mail interne jugé sensible politiquement.
Les atteintes à la liberté de la presse et d’expression se sont multipliées :
L’actrice Melisa Sözen a été interrogée pour « propagande terroriste » en raison de son rôle dans une série française.
La plateforme X a bloqué l’accès à des dizaines de comptes de journalistes, d’activistes et de médias en exil, invoquant la sécurité nationale.
Le journaliste Metin Cihan a vu son compte bloqué après avoir critiqué les relations commerciales turco-israéliennes.
La journaliste Öznur Değer (JINNEWS) a été arrêtée pour des publications liées à des journalistes kurdes tués, et aurait subi des mauvais traitements en détention.
Trois journalistes du journal BirGün ont été brièvement placés en garde à vue pour un article sur un procureur controversé. Ces détentions ont suscité une vive condamnation de l’opposition.
Plusieurs atteintes à la liberté d’expression ont été recensées :
Une femme a été arrêtée pour avoir critiqué le président Erdoğan et sa famille lors d’un micro-trottoir.
Une enquête a été ouverte contre la journaliste Şirin Payzın pour « propagande terroriste ».
Une décision de justice a bloqué l’accès à 361 contenus en ligne concernant une députée AKP, invoquant des atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité.
L’autorité de régulation des médias (RTÜK) a infligé une amende maximale à une chaîne de télévision pour diffusion d’un enregistrement impliquant un témoin judiciaire, tandis que trois journalistes ont été détenus dans le cadre de l’affaire.
Une universitaire et journaliste a été placée en détention pour un message jugé insultant envers le président et un haut fonctionnaire.

LIBERTÉ DE RÉUNION ET D’ASSOCIATION
Trois personnes ont été arrêtées lors d’une manifestation contre la destitution d’un maire pro-kurde remplacé par un administrateur d’État.
À la suite de cette destitution, les autorités locales ont imposé une interdiction de dix jours sur tous les rassemblements, manifestations et événements connexes dans la zone concernée.
Plusieurs arrestations ont eu lieu lors d’une commémoration du séisme de février à Hatay, où des manifestants ont été violemment dispersés par la police.
Par ailleurs, le refus des autorités d’autoriser une marche pro-palestinienne organisée par l’opposition a relancé les critiques sur l’application arbitraire des droits de réunion, alors qu’un événement similaire avait récemment été autorisé au parti au pouvoir.
Une interdiction temporaire a été imposée à tous les rassemblements et manifestations dans la province de Van.
À Ankara, une manifestation de mineurs protestant contre la privatisation d’un site énergétique a été bloquée par les gendarmes.

IMPUNITÉ ET INDEPENDANCE JUDICIAIRE
Une nouvelle enquête a été ouverte contre le maire d’Istanbul pour avoir critiqué un expert judiciaire prétendument désigné de manière partiale dans des affaires impliquant des municipalités d’opposition.
La Turquie reste le pays avec le plus grand nombre de requêtes pendantes devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Une campagne de soutien a été lancée pour Pınar Selek, sociologue poursuivie depuis plus de 25 ans malgré plusieurs acquittements, menacée d’un nouveau procès et d’une peine de réclusion à perpétuité aggravée.
Une loi adoptée récemment accorde au Conseil d’inspection de l’État, sous l’autorité directe du président, le pouvoir de suspendre ou révoquer des fonctionnaires et des militaires, soulevant des craintes de purges politiques.
Plusieurs procédures judiciaires visent des figures politiques de l’opposition, dont le maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, accusé de multiples infractions liées à ses déclarations publiques, et le député Cemal Enginyurt, visé pour insultes envers le président.
Dans l’affaire de l’assassinat du journaliste Hrant Dink, neuf accusés ont été condamnés à la réclusion à perpétuité pour tentative de renversement de l’ordre constitutionnel. La politisation du procès, notamment par des liens établis avec le mouvement Gülen, continue de susciter la controverse.
Le maire de Kağızman a été démis de ses fonctions après une condamnation pour appartenance présumée à une organisation terroriste, et remplacé par un administrateur d’État.
Des procédures visant à lever l’immunité parlementaire de plusieurs députés d’opposition ont été transmises au Parlement, illustrant un usage politique croissant de l’appareil judiciaire.

DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS
L’ancien membre de l’Association des droits de l’homme (İHD), Adnan Vural, a été condamné à un an et demi de prison pour « propagande terroriste », mais acquitté de l’accusation d’appartenance à une organisation illégale.