COMMENT PEUT-ON DIRE POLIMENT QUE L’ON PENETRE UNE MATRAQUE DANS LE RECTUM ?
Voici l’interview avec M. le Député Ömer Faruk Gergerlioğlu réalisée par İrfan Aktan sur la pratique de la torture en Turquie, publiée dans le site internet Gazete Duvar:
Le député de HDP (Parti démocratique du peuple) de la ville de Kocaeli et membre de la Commission d’enquête sur les droits de l’Homme de la Grande Assemblée nationale turque (GANT), M. Ömer Faruk Gergerlioğlu (ÖFG) raconte l’histoire des femmes enceintes ou ayant accouché et des enfants qui n’ont jamais vu un oiseau ou un arbre dans des prisons surpeuplées bien au-delà de leurs capacités, des détenus qui ont subi des tortures parce qu’ils ont refusé la fouille corporelle intégrale, des familles détruites sur le chemin de la prison, des femmes harcelées sexuellement, des personnes qui ont mystérieusement disparu et qui ont été retrouvées après avoir été soumises à de lourdes tortures…
M. Selahattin Demirtaş, qui a obtenu des millions de votes en tant que député et candidat à la présidence, a été emprisonné simplement parce qu’il était dissident, malgré une décision de la CEDH en sa faveur et la détérioration de son état de santé. Il continue d’être le nom le plus médiatisé de la politique turque malgré l’embargo médiatique, les interdictions et la répression.
Alors que M. Demirtaş s’occupe de ses problèmes de santé, sa famille a échappé de justesse à la mort après un accident de la route. Sa famille effectue une visite hebdomadaire difficile pour venir le voir à Edirne. En effet, entre le lieu de résidence (Diyarbakir) et le lieu de détention de M. Demirtaş (Edirne), il y a plus de 1600 kilomètres de route à effectuer.
L’histoire de M. Demirtaş et de sa famille a beaucoup en commun avec celles de dizaines de milliers de prisonniers et de leurs proches. Des gens qui n’ont pas pu échapper à la mort sur le chemin des visites en prison, des membres de leur famille qui ont disparu de force, des femmes qui sont arrêtées par la police pendant leur grossesse, des enfants coincés entre les murs de la prison, qui ont grandi sans pouvoir tenir des crayons, voir un oiseau ou un arbre…
Décrit par un ami comme « la figure du Parti démocratique du peuple (HDP) », qui s’efforce de prévenir toutes sortes de violations des droits de l’homme, que les prisonniers, les détenus, les condamnés et leurs proches peuvent joindre et appeler à l’aide, une victime du décret-loi lui-même, ancien président de l’Association pour les droits de l’homme et la solidarité avec les opprimés (MAZLUMDER), bien connu des milieux conservateurs, le député HDP Kocaeli M. Gergerlioğlu dépeint des images d’incarcération.
Q – En 2019, les organisations des droits de l’homme ont documenté 1 123 incidents de torture et de mauvais traitements dans les prisons. Que se passe-t-il dans les prisons ?
ÖFG – Les problèmes se multiplient depuis la période de l’état d’urgence. Pendant cette période, les prisons ont été gravement surpeuplées. La capacité normale est de 120 000 détenus, la capacité étendue est de 211 000 détenus, alors qu’actuellement ce sont 288 000 personnes qui sont emprisonnées.
Q – Alors, en théorie, combien de personnes dorment sur le sol dans les salles de prison ?
ÖFG – Il y a presque 80 000 détenus en plus de la capacité d’accueil prévue.
Q – Combien d’entre eux sont des prisonniers politiques et combien sont des prisonniers ordinaires ?
ÖFG – Environ 60 000 personnes sont incarcérées sous des accusations de FETO (un terme utilisé par le gouvernement turc pour désigner les gülenistes) et je suppose qu’il y a environ 15 000 détenus ou condamnés parmi les kurdes ou des personnes de tendance gauche. Sous l’état d’urgence, 550 000 personnes ont été mises en détention sur la base d’allégations de FETO. Aussi, Le nombre d’infractions dites « ordinaires » augmente considérablement. Si l’on ajoute les militants pacifistes qui ont été emprisonnés pour terrorisme et la pression croissante exercée sur les membres des gauches républicaines turques, la capacité d’accueil des prisons est largement dépassée. Les statistiques sur les violations des droits dont je viens de parler ne sont rien d’autre que celles qui ont été détectées par les organisations de défense des droits de l’homme. Les chiffres réels sont beaucoup plus élevés.
« MÊME LES FEMMES ENCEINTES SONT OBLIGÉES DE SE DÉSHABILLER ET DE S’ACCROUPIR PLUSIEURS FOIS »
Q – En particulier, à quel moment et par qui la torture et les mauvais traitements dans les prisons sont-ils perpétrés ?
ÖFG – La fouille corporelle lors de l’admission dans les prisons constitue l’une des principales violations constatées. De manière inhumaine et dégradante, les détenus sont déshabillés et fouillés nus. Nous savons que même les femmes enceintes sont obligées de se déshabiller complètement nues et sont torturées et humiliées à plusieurs reprises avec des instructions d’accroupissement.
Seuls les détenus idéologiques s’opposent à cette pratique. Si vous obéissez, vous êtes soumis à la torture de la fouille corporelle intégrale (c’est-à-dire complètement nue), si vous protestez alors vous êtes torturé d’une manière différente. Les prisonniers sont battus et fouillés de force. Le rapport du Barreau de la province de Van concernant la prison de Beşikdüzü sur cette question est très frappant.
Q – Que dit ce rapport ?
ÖFG – Le Barreau de la province de Van a publié un rapport révélant que les prisonniers politiques qui devaient être transférés de la province de Tekirdağ à la prison de Trabzon Beşikdüzü ont refusé la fouille corporelle entièrement nue et qu’ils ont donc été « bastonnés ». Malgré cet horrible incident, le gouvernement n’a pas fait un seul commentaire et n’a même pas fait un petit pas.
De plus, même après le reportage, un incident similaire a eu lieu à la suite d’une dépêche lors d’un jour férié dans la même prison. Après que les parents des détenus m’ont contacté et que j’ai fait part de l’incident sur les médias sociaux, le bureau du procureur général de Trabzon a nié l’incident, bien que celui-ci ait été évident et qu’il y ait eu des témoins.
Q – Quel type de réponses recevez-vous du gouvernement, du ministère ou des administrations pénitentiaires concernant ces cas ?
ÖFG – Les réponses sont exaspérantes. Ils peuvent mentir et nier avec tant de désinvolture. Il n’y a aucune entité qui pourrait inspecter ou enquêter lorsqu’un fonctionnaire nie ou ment publiquement.
On dit « Un tel incident n’a jamais eu lieu » mais l’incident est évident. Alors, que faisons-nous ? « C’est fini, l’affaire est close » c’est tout ! Cette année encore, en mai, lorsque nous avons présenté aux autorités les photos montrant les tortures et les mauvais traitements infligés aux détenus dans la cour arrière d’un poste de police à Şanlıurfa Halfeti, ils ont dit que « ces photos sont fabriquées » ou « prises ailleurs ». Pour l’amour de Dieu ! Ces photos n’ont pas été prises par moi mais par les fonctionnaires eux-mêmes sur place. Mais ils les ont balayées de la main en disant : « Ça n’existe pas, point ! »
LA COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME DE LA GANT N’A PAS L’INTENTION DE S’ATTAQUER AUX VIOLATIONS
Q – Est-ce que la commission d’enquête sur les droits de l’homme de la GANT (Grande Assemblée nationale turque), face à de telles situations aussi « douteuses », prend l’initiative et dit « allons voir, enquêter et inspecter cela de plus près » ?
ÖFG – Non. Est-ce que vous voyez cela (en pointant le dossier volumineux sous sa main) ? J’ai soumis plus de mille enquêtes parlementaires à la présidence de la GANT et environ trois mille pétitions à la Commission des droits de l’homme. Cela signifie que je suis l’auteur d’un tiers des pétitions de toute la Turquie qui sont parvenues à ladite commission parlementaire. Mais malheureusement, la présidence de la commission des droits de l’homme n’a pas l’intention de s’attaquer à de telles violations afin d’en obtenir des résultats. Il y a d’innombrables violations, de tragédies et de souffrances dans ce dossier que je viens de vous montrer.
Q – Quel genre de violations, par exemple ?
ÖFG – En mai dernier, un incident de torture a eu lieu à la préfecture de police d’Ankara et j’ai été le premier à le dénoncer publiquement. Des méthodes de torture horribles, y compris l’insertion de matraques de police à l’anus des détenus… Ceux qui ont vécu et révélé cela sont 111 anciens hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères. Ce dont ils sont accusés ou ce qu’ils ont fait ne me concerne pas. Je me soucie seulement de savoir s’il y a eu une violation.
Q – Comment cet incident s’est-il produit ?
ÖFG – Lorsque j’ai reçu des informations sur ce problème, j’ai fait une annonce publique. Bien sûr, cela a provoqué un tollé. La police a déclaré : « Un tel incident ne s’est pas produit », comme toujours. Cependant, fait extrêmement rare dans l’histoire de la République turque, le barreau d’Ankara a rendu une visite inopinée avec huit de leurs avocats et, malgré les efforts d’obstruction du bureau du procureur général, ils ont réussi à parler avec les détenus.
Cinq personnes sur les six que le Barreau a interrogées ont révélé avoir subi cette horrible méthode de torture, et l’autre a reconnu qu’il en avait entendu parler et qu’il le savait. Malheureusement, les victimes, craignant de nouvelles représailles de torture, choisissent généralement de se taire. Mais la nouvelle de l’incident au siège de la préfecture de police d’Ankara s’est soudainement répandue et j’ai reçu des appels de nombreux médias nationaux et internationaux ainsi que d’organisations internationales des droits de l’homme.
Q – Qu’est-ce que ces 6 détenus ont dit ?
ÖFG – Qu’ils ont été mis dans une pièce sombre, qu’ils ont été entièrement déshabillés et qu’on leur a inséré des matraques dans leurs anus… Le rapport du barreau d’Ankara sur cet incident était très grave. Ces six personnes ont parlé alors qu’elles étaient encore en détention et soumises à des menaces telles que « Nous reviendrons ce soir ! ». Ces détenus avaient donc parlé malgré qu’ils savaient qu’ils allaient se retrouver le soir venu avec leurs bourreaux.
“UN JOURNALISTE DE ZAMAN M’A CRITIQUÉ EN ESTIMANT QUE J’ÉTAIS TROP CRITIQUE ENVERS L’ÉTAT”
Q -En fin de compte, une enquête a-t-elle commencée concernant la torture ?
ÖFG – Ni la police d’Ankara ni le ministère de l’Intérieur n’ont fait d’annonce, mais suite à la pression croissante, le bureau du procureur a ouvert une enquête. Franchement, je pense que ce sera couvert.
Q-Ces détenus étaient-ils accusés d’être des gülenistes ?
ÖFG – Ni lorsque j’étais dans l’association « Mazlum-Der », ni au Parlement, je n’ai jamais défendu, et je ne défends jamais les droits de l’homme en fonction de l’identité des victimes. Lorsque j’étais dans Mazlum -Der, j’ai fait une fois une remarque sur les violations des droits de l’homme commise par l’État turc, un journaliste de Zaman (un des journaux qui était le plus vendu en Turquie et affilié au mouvement Gülen. Il a été fermé par un décret-loi en 2016) m’a repris et m’a fait la remarque d’être très critique envers l’État.
Aujourd’hui, beaucoup de choses ont changé et c’est ce même journaliste qui voit ses droits les plus fondamentaux bafoués et violés. Ainsi, il faut donc s’opposer à la torture et aux violations des droits quelle que soit la victime. Les gens l’apprennent malheureusement très lentement et en traversant des périodes d’immenses souffrances. Il ne faut pas nécessairement être victime pour défendre autrui.
« LA LETTRE DE 8 PAGES DE ZABİT KİŞİ, L’HOMME QUI FUT ENLEVÉ ET RETROUVÉ PAR LA SUITE, M’A HORRIFIÉ’
Q – Des organisations de défense des droits humains ont enregistré 7 personnes enlevées en 2019. De nombreux cas de disparitions sous garde à vue depuis la période de l’état d’urgence sont cités. Depuis la tentative de coup d’État, combien de personnes ont disparu, combien ont été retrouvées ? Que racontent-ils ?
ÖFG – 28 personnes, 27 hommes et 1 femme, ont été enlevées. Les hommes sont connus pour être proches du groupe Gülen. La femme, Ayten Öztürk, est de tendance gauche. À l’audience, elle a révélé comment elle avait été enlevée et torturée. Parmi les 27 autres, certains n’ont pas parlé et n’ont pas mentionné qu’ils avaient été torturés. Cependant, à travers les témoignages des personnes ayant été torturées, nous pouvons deviner ce qui a pu arriver aux personnes n’ayant pas osé parler. En effet tous ont été kidnappés avec les mêmes méthodes, les mêmes véhicules et retrouvés presque dans le même état. Nous avons reçu la lettre de Zabit Kişi, une des victimes qui a été enlevée puis retrouvée. Sa lettre semble être de loin la plus évidente quant à la chronologie et sur la nature de ce qu’ont subi les victimes enlevées, torturées et retrouvées vivantes.
Q – Qu’est-ce que Zabit Kisi a raconté ?
ÖFG – Dans sa lettre de 8 pages, il m’a raconté comment il avait été enlevé puis enfermé dans un endroit inconnu durant 108 jours.
Q – Est-il emprisonné en ce moment ?
ÖFG -Il est maintenant dans la prison de Kandira. Je défends les droits de l’homme depuis des années, j’ai été témoin de nombreux cas, mais cette lettre m’a terriblement horrifiée. Il était gardé dans un endroit ressemblant à une cabane pour chien, les yeux bandés. Ils lui jetaient un morceau de pain et lui donnaient un peu d’eau, suffisamment pour le maintenir en vie. Pendant cette période de 108 jours, il a perdu 30 kilogrammes.
Il raconte qu’il a été torturé jusqu’à ce qu’il saigne de la bouche, du nez et du rectum. Le 75ème jour, même les tortionnaires ont été dérangés par l’odeur et l’ont lavé avec un tuyau.
Il a essayé de se suicider à plusieurs reprises. Je ne pus à peine me résoudre à terminer la lettre en 4-5 heures. En lisant cela, je me suis promis que la lutte contre la torture serait ma priorité absolue, bien que cela était déjà le cas.
ZABİT KİŞİ, LORSQU’IL FUT PRÉSENTÉ DEVANT UN JUGE, A DEMANDÉ AU JUGE « DE LE METTRE EN DÉTENTION »
Q – Alors, comment cette personne a été découverte ?
ÖFG – Il a été jeté devant le siège de la préfecture de police d’Ankara par des personnes qui se sont identifiées comme étant des « fonctionnaires de l’État ». Zabit Kişi écrit dans sa lettre qu’il a supplié au juge de le faire arrêter lors de sa toute première audience. J’ai ensuite transmis la lettre, en tant que député de la nation, au ministère de la Justice sans ajouter un seul mot. J’ai simplement dit cela : « Zabit Kişi nous fait une réclamation. Dans cette dernière, il défend qu’il a été kidnappé par des fonctionnaires d’État. Les ravisseurs sont-ils vraiment des fonctionnaires de l’État ou sont-ils plutôt des gangsters ou des voyous ? ». Après tout, ils pourraient s’engager à se faire passer pour des fonctionnaires du gouvernement. Lors de ma transmission, je les exhortais de vérifier les enregistrements de vidéo-surveillance. (Un facteur arrive et remet une lettre à M. Gergerlioğlu pendant l’interview) La lettre vient de la prison de type L d’Antalya Döşemealtı. Je reçois très souvent de telles lettres et nous détectons de nombreuses constatations de violation.
Q – Quelle réponse avez-vous reçue du ministère de la Justice concernant la lettre de Zabit Kişi ?
ÖFG – J’ai présenté la lettre au ministère de la Justice, au ministère de l’Intérieur et à la présidence de la République sans ajouter un seul mot. Cette personne défend avoir été kidnappée, qui a fait ça ? Il n’y a pas eu une seule déclaration à ce sujet. Je l’ai présenté à la présidence du GANT dans le cadre d’une demande d’enquête parlementaire. La présidence m’a répondu : « Votre question n’a pas été traitée en raison de remarques grossières et blessantes. »
« NOMBREUX SONT CEUX QUI NE PARLENT PAS APRÈS AVOIR ÉTÉ RETROUVÉS »
Q – Quelles sont ces remarques grossières et blessantes ?
ÖFG – Ce sont les descriptions de torture de Zabit Kişi. La présidence du Parlement renvoie les questions des députés du HDP, quand elle repère des mots comme « massacre » et « invasion ». Mais, à ma demande d’enquête parlementaire, je n’ai joint que la lettre de Zabit Kişi et demandé si ces affirmations étaient vraies ou fausses. En tant qu’Assemblée nationale, qu’allez-vous enquêter d’autre si vous n’examinez pas une telle lettre écrite par un membre de cette même nation, pour l’amour de Dieu ? « Remarques grossières et blessantes » mon œil ! Comment faut-il dire autrement alors le fait d’enfoncer une matraque dans le rectum d’un homme ?
Plusieurs personnes m’ont appelé de Turquie et de l’étranger en nous racontant des tortures similaires qu’elles ont vécues à condition que « je garde cela en off ». Certains ont été jetés dans une zone montagneuse isolée, certains devant le QG de la police. Hasan Kala, par exemple, a été retrouvé 250 jours après sa disparition à Batıkent, dans le centre d’Ankara. Sa femme et son père m’avaient rencontré. Il est réapparu après 250 jours de disparition. Cet homme n’a pas été arrêté et il a ensuite disparu de la circulation.
Q – A-t-il disparu de force une fois de plus ?
ÖFG- Non, mais je pense qu’ils disparaissent pour ne pas à avoir subir de telles atrocités une nouvelle fois. Un autre exemple : l’affaire Salim Zeybek. Il a été enlevé alors qu’il était avec sa femme et ses deux enfants à Edirne. Ses ravisseurs l’emmènent, conduisent sa femme et ses enfants, d’Edirne à Ankara jusqu’à leur maison. Ils donnent même à la dame un peu d’argent. Elle soumet ensuite les enregistrements de la caméra de surveillance devant leur maison, le numéro de la plaque d’immatriculation de la voiture, ainsi que l’argent qu’elle a reçu au cas où les empreintes digitales des ravisseurs seraient retrouvées. Comme elle est une bonne peintre, elle soumet également à la police les croquis des ravisseurs. Salim Zeybek a lui aussi réapparu au siège de la police d’Ankara, six mois après son enlèvement en février.
Q- Va-t-il raconté ce qui lui est arrivé ?
OFG– Zeybek a été retrouvé au quartier général de la préfecture de police d’Ankara avec trois autres personnes qui ont été enlevées à Ankara et Istanbul. Cependant, ces personnes qui sont actuellement détenues à la prison de Sincan ne parlent pas.
Q- Ces hommes sont-ils d’anciens agents du MIT (Organisation Nationale de Renseignement) ou des personnes disposant d’information très sensibles ?
OFG– Les personnes qui ont été kidnappées et qui sont réapparues sont toutes jugées par la 34ème Cour d’assises d’Ankara qui est chargée de juger les affaires liées au MIT. Les députés et les membres de l’IHD (Association des Droits de l’Homme) ne sont pas autorisés à assister aux audiences.
La plupart des personnes disparues dans les années 1990 n’ont jamais été retrouvées ou seuls leurs cadavres ont été découverts…
Peut-être que seuls les corps de ces hommes auraient refait surface, mais à la suite d’une pression immense de l’opinion publique, ils ont été retrouvés vivants. Ayant reçu la nouvelle de leur réémergence, dès l’aube, les épouses des personnes enlevées et leurs avocats se tenaient prêts devant le commissariat. Mais les détenus ont fait savoir qu’ils ne voulaient pas parler avec les avocats présents. Puis, nous avons vu que ces personnes, qui avaient été retrouvées récemment, s’étaient curieusement trouvées des avocats sortis de nulle part ! Face à cette situation kafkaïenne, l’une des épouses demanda à son mari : « Qui est cet avocat ? Comment as-tu réussi à en trouver un alors que tu es en garde à vue ? Pourquoi on ne parle pas avec l’avocat que nous avons engagé nous-même ? ». Le pire, c’est que ces personnes ne connaissent même pas le nom des avocats qu’ils ont trouvé alors qu’ils étaient en garde à vue !
Le mari a répondu à sa femme : « ne te préoccupe pas d’où nous sommes. J’ai entendu dire que tu avais fait des demandes aux institutions nationales et internationales, retire-les immédiatement. Tu as parlé avec Sezgin Tanrikulu (député CHP, Parti du peuple républicain) et Omer Faruk Gergerlioğlu, arrête ça. Tu as ouvert des comptes sur les réseaux-sociaux concernant notre cas et tu continues à écrire, n’écris plus un seul mot. Nous avons une famille, des enfants, laissons tomber cet incident. »
Tous les quatre ont donné la même version à leur femme. D’après leurs épouses, les personnes enlevées ont perdu environ 25-30 kilos. Leur peau était si pâle qu’ils n’ont probablement pas du tout vu la lumière du soleil. Ils avaient l’air mal à l’aise, ils regardaient parfois avec craintes le policier qui les observait. Cependant, ils tenaient absolument à ne pas révéler ce qu’ils avaient vécu. Après 12 jours de détention, ces personnes ont été arrêtées, mais leurs conjointes ne savent pas pourquoi ni sur quelles accusations ils ont été arrêtés. C’est une énigme. Deux personnes sont réapparues plus tard et ont également donné des instructions à leurs épouses dans le même sens.
La Police et le procureur semble assez « insouciants » face à cette situation.
Q- Y-a-t-il encore des personnes disparues ?
OFG– Le 6 Août, le jour de l’arrestation des deux derniers « revenants » cités juste en-haut, Yusuf Bilge Tunç, qui a un mandat d’arrêt, a disparu à Ankara et il est toujours porté disparu à ce jour. Je suis allé voir sa voiture qui a été abandonnée dans un endroit peu surveillé par les caméras de surveillance. C’est un ancien employé du ministère de l’Industrie, dont l’emploi a été révoqué par un décret-ordonnance. Sa femme a sollicité l’aide de la police mais personne ne s’en est soucié. Même le procureur chargé d’enquêter sur l’affaire n’a pas été nommé avant un mois et demi. Face à l’inaction des forces de l’ordre, cette femme essaie alors d’obtenir les images de sécurité par ses propres moyens. Elle demande aux magasins voisins, sans succès. La police et le bureau du procureur sont tous deux assez insouciants dans cette affaire. Permettez-moi d’ajouter en passant que les familles des six personnes que j’ai mentionnées plus haut ont présenté des demandes aux institutions internationales lorsqu’elles ne pouvaient pas obtenir de résultat au niveau national. La Cour européenne des droits de l’Homme et le Comité des disparitions forcées de l’ONU ont toutes les deux posé, avec le code « urgent », des questions relatives à ces disparitions au gouvernement turque. Ces deux institutions ont encadré le droit de réponse du gouvernement à un temps limité. Ces six personnes disparues ont été « retrouvées » juste avant que la durée accordée aux questions posées se termine !
On a dit à de nombreuses femmes : « Allez-y, accouchez qu’on puisse vous arrêter ».
Q- L’un des sujets, que vous, avec Sezgin Tanrikulu, avez le plus soulevé tout au long de l’année 2019 est celui des femmes arrêtées pendant leur grossesse ou juste après leur accouchement, des enfants qui grandissent en prison… Combien d’enfants sont en prison avec leur mère en ce moment ?
OFG– Ce chiffre avait déjà dépassé les 864 bambins. Après le premier paquet de réformes judiciaires, il est tombé à 780 au mois de novembre. Cependant, malgré la réforme judiciaire, deux femmes enceintes ont été emprisonnées encore cette semaine. Pendant l’état d’urgence, il n’y a jamais eu dans l’histoire de la République turque autant de femmes enceintes, des femmes venant juste d’accouchées ou de femmes donnant le sein à leur bébé dans les prisons turques.
Après tout, le groupe güieniste, à la différence des organisations classiques, avait une structure qui incluait les familles, les mères, les pères, les enfants. Par conséquent, le nombre de femmes détenues a atteint un sommet lorsque ces personnes ont commencé à être punies. Tout au long de cette période, l’aspect humanitaire de ces événements a suivi un cours tragique. L’article 16 alinéa 4 de la Loi n°5275 dispose que l’exécution de la peine de prison à l’encontre d’une femme enceinte ou ayant accouché il y a moins de six mois est obligatoirement différée. L’article 116 de la même loi réitère cette disposition pour les mises en détention. Mais cette loi a été totalement ignorée. Des centaines de femmes enceintes ou venant juste d’accoucher ont été arrêtées. Les femmes qui se rendent à l’hôpital pour accoucher se voient entendre : « allez-y, accouchez pour qu’on puisse vous arrêter » par les policiers qui se tiennent juste à côté d’elles. Il y a eu beaucoup de femmes qui ont accouché en larmes, avec un stress et des angoisses d’être arrêtée par les policiers qui se tenaient juste derrière la porte de leur chambre d’accouchement.
Q- Ces personnes ont-elles été recherchées pour leur appartenance à une organisation (illégale) ?
OFG– Les femmes qui ont vu la police les attendre derrière les portes de leur chambre de maternité sont celles qui avaient un mandat d’arrêt émis contre elles. Ces femmes ont dû vivre une vie de fugitives puisqu’elles sont recherchées. Mais lorsque vient le moment de l’accouchement, elles sont obligées de se rendre à la maternité ou à l’hôpital et c’est à ce moment que la police vient pour les arrêter. Il y aussi de nombreux cas de femmes arrêtées alors qu’elles sont enceintes de 3 semaines, ou bien hospitalisées pour l’accouchement et sont renvoyées en prison quelques heures après leur accouchement sans même passer une nuit à l’hôpital. Si par malchance, elles sont arrêtées avant leur accouchement, elles sont mises en prison.
Plusieurs femmes ont fait des fausses couches en prison. Il me vient à l’esprit trois noms : Gülden Aşık, Nurhayat Kılıç et Hanife Ciftçi. Ces trois femmes, dont je me souviens leurs noms, ont fait des fausses couches en prison. J’ai suivi leur situation depuis le début, même au stade du tribunal, ces femmes n’ont pas été écoutées quand elles ont dit qu’elles avaient eu une grossesse difficile. Nurhayat Kılıç a perdu ses jumeaux.
Ainsi, quatre bébés dont je suivais la situation de leurs mères en prison ont péri. Certaines femmes ont fait un accouchement prématuré. Pendant trois ans et demi, des centaines de femmes ont vécu cette situation dramatique uniquement parce que la loi n’a pas été appliquée.
« LES PARENTS SONT EMPRISONNÉS AVEC DES EXCUSES RIDICULES, LES ENFANTS LAISSÉS EN ARRİERE PLAN »
Q-Quelle est l’histoire la plus difficile pour vous, non pas en tant que député, mais en tant que médecin ?
OFG– Il y a bien sûr d’innombrables histoires. Hier encore, une femme ayant un enfant de 8 ans atteint de trisomie 21 a été emprisonnée. Vous ne pouvez pas raconter à cet enfant l’emprisonnement de sa mère. C’est la même chose pour les enfants autistes. Je me rappelle d’un enfant autiste, qui avait été guéri à 90% par le soutien indispensable de sa famille. Le père, un ancien professeur, a été emprisonné pendant 17-18 mois. Suite à l’emprisonnement du père, le taux de guérison de l’enfant est tombé à 26%. En tant que médecin, cette histoire m’a fait très mal au cœur. Les parents avaient progressé pas à pas et avaient guéri leur enfant avec une lutte salvatrice. Et là, tout d’un coup, tous ces progrès sont réduits en poussière.
Q – Le père est-il toujours emprisonné ?
ÖFG – Il a été libéré mais cela a eu un coût énorme. La majorité de ces personnes sont incarcérées sous des prétextes ridicules et sont ensuite libérées. Mais jusqu’à leur libération, il y a beaucoup de vies détruites… D’une part, les autorités enfreignent la loi en détenant des femmes enceintes ou venant juste d’accoucher, et, d’autre part, elles transforment la mise en détention provisoire, qui est une mesure préventive en peine. Alors que, dans bien des cas, ces personnes peuvent très bien être libérées en attendant leur procès. De plus, cette pratique ne touche pas seulement les suspects du FETÖ mais tout le monde. Par exemple, il y a aussi des femmes avec des enfants dans les « quartiers du PKK » dans certaines prisons que j’ai visité à Diyarbakır et Elazığ. Prenez par exemple Semra Akgül de la prison de Diyarbakır. Son mari est également incarcéré. Ils ont apparemment participé à une manifestation. Elle vient de se faire renvoyer son enfant de 6 ans chez elle, à l’extérieur, parce qu’on ne peut pas garder un enfant de plus de 6 ans avec soi en prison.
Q – Qui s’occupe de cet enfant si les deux parents sont en prison ?
ÖFG – Cet enfant de 6 ans reste avec ses deux frères plus âgés, ayant 17 et 18 ans. 3 enfants vivant seuls, vous arrivez à vous imaginer la situation ? Et il y a des milliers de familles comme ça. Une perquisition avec mise en garde à vue a eu lieu dans les bureaux de l’antenne de notre parti HDP à Kocaeli. Nos amis Emine et Mehmet Karaarslan ont été mis en garde à vue. Ils ont trois enfants. Et quelle est l’accusation qui leur est portée ? « Pourquoi avez-vous dansé le halay (danse folklorique traditionnelle) ? Pourquoi avez-vous rencontré un membre hiérarchique de votre parti ? Nous avons écouté vos appels téléphoniques et vous avez dit : « Apportez la pièce (emanet) », quelle est cette pièce, une arme à feu ? » Je suis allé personnellement leur demander, en tête-à-tête, ce qu’était vraiment cette pièce. Ils avaient voulu dire les bannières du parti ! Le mari et la femme ont été arrêtés sous des prétextes complètement absurdes et les enfants ont été laissés au second plan. Mekiye Aydın, qui a quatre enfants, a été arrêtée… Osman Kurum, dont l’épouse était en prison, s’occupait de son enfant. Il fut lui aussi emprisonné et leur enfant est désormais seul maintenant. Ce sont nos amis du HDP.
« UN ENFANT DOIT POUVOIR VOIR DES ARBRES ET DES OISEAUX POUR L’AMOUR DE DIEU ! »
Q – Comment les conditions de détention affectent-elles les enfants qui grandissent en prison avec leur mère ?
ÖFG – Nous avons vu ces enfants dans les prisons de Diyarbakır et d’Elazığ : Dilda, dans la prison Diyarbakır, et une autre fille dans celle d’Elazığ dont je ne me souviens pas son prénom. Leur psychologie n’était pas du tout bonne naturellement. 20-25 femmes dans une cellule de 10 personnes, entre quatre murs… Ils ne donnent même pas de cahiers de coloriage aux enfants à cause des « couleurs dangereuses » ! Une fois à l’intérieur de la cellule, nous-même, nous commençons à nous sentir à l’étroit après seulement cinq minutes, que ressentent alors ces enfants ? Les murs sont trop hauts avec une toute petite cour. Surtout à Elazığ, ils ont fait clôturer la cour avec un petit grillage.
Q – Pourquoi ? Pour que les détenus ne s’évadent pas en s’envolant ?
ÖFG – Probablement ! On commence à saisir que certaines choses sont indispensables dans un tel contexte. Dans la prison de Diyarbakır, il y avait un oiseau qui passait et venait se poser dans la cour, son chant donnait un peu de répit aux détenus. Mais dans la prison d’Elazığ, à cause du grillage, les oiseaux étaient bloqués.
Une mère m’a dit qu’une fois, alors qu’elle se rendait à l’hôpital depuis la prison, son enfant lui a demandé : « C’est quoi ça maman ? », en montrant un arbre et un oiseau. L’enfant n’avait jamais vu un arbre ou un oiseau, puisqu’il avait été élevé en prison. Un enfant doit pouvoir voir des arbres et des oiseaux, pour l’amour de Dieu ! À chaque fois qu’un gardien de prison vient ouvrir la porte de la cellule dans laquelle se trouve des enfants, ces derniers se précipitent vers cette porte pour sortir de la cellule. Et lorsque ces enfants voient cette porte se refermer sur eux, alors ils se mettent à pleurer parce qu’ils n’en comprennent pas la raison.
Les femmes et les mères, aussi, se mettent alors à pleurer, peut-être que le gardien qui vient de fermer la porte pleure aussi mais personne ne peut rien y faire. Tout le monde a regardé la vidéo du bébé Miraz dont la mère était en prison. Ce n’est qu’un exemple capturé par la caméra, mais il y a des centaines de cas similaires, d’histoires semblables. Certains enfants ne veulent pas rendre visite à leurs parents emprisonnés car ils subissent des mauvais traitements au poste de contrôle de la prison, juste quelques instants avant l’entrevue avec leur(s) parent(s). Dans la prison de Silivri, par exemple, ils sont 600 visiteurs qui affluent d’un coup pour voir leur proches après que le gardien en ait donner la permission. Le temps étant compté, les visiteurs ressentent le besoin d’entrer le plus vite possible. Naturellement, en faisant cela, les enfants sont presque écrasés. De plus, j’ai reçu de nombreux messages d’alertes émanant de femmes venant visiter leur conjoint en prison. Elles affirment toutes avoir été harcelées sexuellement dans les couloirs de la prison les amenant à la salle d’entrevue.
L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE DIT : « MONSIEUR, CE N’EST PAS UNE CELLULE MAIS UNE CHAMBRE. C’EST CONFORTABLE MÊME AVEC UNE BOUILLOIRE »
Q – D’ailleurs, comme dans l’exemple de Selahattin Demirtaş, il y a des détenus retenus à des milliers de kilomètres de leur famille…
ÖFG – L’accident de voiture de la famille de M. Demirtaş n’est pas un événement auquel on ne pouvait pas s’attendre. Il y a des gens de Kars qui sont détenus à Antalya, d’autres de Diyarbakır mais qui sont détenus à Edirne. De nombreuses familles ont été détruites par des accidents de la route alors qu’elles allaient rendre visite à leurs proches détenus. Un détenu de Diyarbakır a dit que son père ne pouvait pas lui rendre visite depuis quatre ans à cause de difficultés financières. L’autre jour, à 3 heures du matin, une dame m’a écrit : « Monsieur, je suis en route pour rendre visite à mon mari gardé à Konya-Ereğli. Ma voiture est tombée en panne. Je suis coincée avec mon enfant dans un endroit désert par ce temps froid, aidez-nous s’il vous plaît ! »
Finalement, la famille d’un important candidat à la présidence du pays a échappé de justesse à la mort… Les prisons sont paralysées. Même les personnes détenues provisoirement sont gardées dans des prisons de type F où les condamnés restent. C’est illégal, vous ne pouvez pas faire ça. Néanmoins, ils le font, les détenus sont mis dans des cellules d’isolement. Lorsque j’apprends cela, je prends mon téléphone et j’appelle l’administration pénitentiaire. Et à mes questions, on me répond avec une certaine désinvolture : « mais non monsieur le Député, ce n’est pas une cellule d’isolement mais une chambre individuelle. C’est extrêmement confortable. Il y a même une bouilloire. » J’ai jeté un coup d’œil aux cellules d’isolement d’Elazığ, oh mon Dieu ! Je n’ai pas pu rester cinq minutes ! Les prisonniers y sont gardés pendant des mois. Il y a des problèmes d’eau chaude, de salle de bain, de toilettes… Une cellule de prison partagée par 25 détenus et qui ne dispose que d’une seule toilette. Ces personnes sont privées du droit de satisfaire leurs besoins les plus élémentaires.
Q – Quelle proportion des 288 000 détenus actuels est en détention préventive ou condamnée ?
ÖFG – Je n’ai pas les chiffres exacts mais le nombre de détenus, je veux dire de personnes qui n’ont pas été condamnées, est plus élevé. Ces dernières personnes ne sont pas accusées de délits graves, elles sont détenues à causes de raisons totalement ridicules. Le plus grand problème est la situation où les deux parents sont en détention. Leurs enfants souffrent d’immenses problèmes psychologiques. Il faudrait que les autorités permettent à l’un des parents détenus au moins, sous bracelet électronique, la possibilité de rentrer chez lui ou chez elle, ou je ne sais quoi d’autre encore ! Mais les autorités ne s’en préoccupent absolument pas !
« NOUS AVONS VU QUE L’OPINION PUBLIQUE ISLAMIQUE A PERDU SA CONSCIENCE »
Q – Comment résumez-vous la situation vis-à-vis des prisons turques et les histoires qui les concernent ?
ÖFG – La Turquie elle-même s’est transformée en une très grande prison. Les prisonniers vivent un enfermement dans l’enfermement auquel ils sont sujets. Beaucoup de ceux qui ont été libérés me disent : « A l’extérieur, ce n’est pas si différent après tout ». Dans les prisons, on souffre de tortures physiques et psychologiques, mais à l’extérieur de la prison, la même atmosphère oppressante est aussi présente.
Les victimes de l’état d’urgence ne sont pas autorisées à quitter le territoire pour vivre leur vie et elles ne sont pas non plus autorisées à gagner dignement leur vie. Même la plus petite expression de pensée peut vous mettre en prison. Nous avons donc un gouvernement, leurs acteurs et les représentants, acculés et coincés, qui ont recours à la persécution et à la force. Ainsi, ils deviennent foncièrement plus mauvais. Parce qu’ils oppriment leur conscience pour justifier leur persécution.
Q – Est-ce qu’il vous arrive de discuter de ces questions avec des députés de l’AKP ?
ÖFG – Certains se plaignent. L’autre jour, l’un d’eux est venu et a dit : « Pensez-vous que vous soyez le seul qui se soucie des victimes du décret-loi ? Moi aussi, une fois, j’ai parlé avec l’un d’entre eux pendant une demie-heure ». Ils inventent des excuses en se racontant des histoires à dormir debout. Ils répètent qu’ils doivent rester au pouvoir car les forces étrangères sont en embuscade. Ainsi, ils réussissent à dénaturer leur conscience. Autre exemple du manque de sérénité chez les membres de la majorité lorsqu’on les interroge sur les femmes enceintes. Ils affirment que « ces femmes sont tombées enceintes sur instruction ». Sérieusement, est-ce là réellement votre réponse ? Vraiment ? Vous leur rappelé que près de 30 personnes, dont 18 étaient des enfants et des bébés, se sont noyés en essayant de traverser la mer Egée et la rivière Maritsa par désespoir. Et là, vous obtenez la réponse suivante : « eh bien ils n’auraient pas dû tenter un coup d’état ». L’opinion publique religieuse a longtemps étouffé sa conscience avec ce récit. Maintenant, il y a des gens, ici et là, qui disent que la répression est probablement allée trop loin envers les victimes des décrets-loi. Pourtant, tout au long de cette période, on a vu que l’opinion publique religieuse a perdu son sens moral.